28.06.2013 Views

Les yeux jaunes des crocodiles

Les yeux jaunes des crocodiles

Les yeux jaunes des crocodiles

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

son attitude, elle d’ordinaire si gracieuse avec ses invités. Elle<br />

avait relevé et attaché ses longs cheveux noirs qui retombaient<br />

en vagues épaisses et éclatantes sur ses épaules.<br />

Quelle chevelure magnifique ! songeait Carmen quand elle<br />

sentait entre ses doigts couler les épais cheveux. Parfois Iris lui<br />

permettait de les brosser et elle aimait les entendre crépiter<br />

sous les brosses. Iris avait passé l’après-midi enfermée dans son<br />

bureau, sans qu’un seul coup de fil soit échangé. Carmen avait<br />

surveillé le voyant du poste de téléphone dont le central était<br />

installé dans la cuisine. Aucun bouton ne s’était allumé. Que<br />

pouvait-elle bien fabriquer dans son bureau, toute seule ? Cela<br />

lui arrivait de plus en plus souvent. Auparavant, quand elle<br />

rentrait, les bras chargés de paquets, elle criait : « Carmencita !<br />

Un bon bain chaud ! Vite ! Vite ! Nous sortons ce soir ! » Elle<br />

laissait tomber les paquets, courait embrasser son fils dans sa<br />

chambre, claironnait : « Ça s’est bien passé ta journée,<br />

Alexandre ? Raconte-moi, mon amour, raconte-moi ! Tu as eu<br />

<strong>des</strong> bonnes notes ? » pendant que Carmen, dans la salle de<br />

bains, faisait couler l’eau dans la vaste baignoire en mosaïque<br />

bleue et verte, mélangeant les huiles de thym, de sauge et de<br />

romarin. Elle tâtait la température en glissant le coude dans<br />

l’eau, ajoutait quelques sels parfumés de chez Guerlain et,<br />

quand tout était parfait, allumait <strong>des</strong> petites bougies et appelait<br />

Iris afin qu’elle se glisse dans l’eau odorante et chaude. Iris la<br />

laissait parfois assister à son bain, passer la râpe sur la plante de<br />

ses pieds, lui masser les orteils avec une huile de rose musquée.<br />

<strong>Les</strong> doigts fermes de Carmen enveloppaient chevilles, mollets et<br />

pieds, pressaient, pinçaient, appuyaient puis relâchaient avec<br />

science et volupté. Iris se détendait et lui parlait de sa journée,<br />

de ses amies, d’un tableau aperçu dans une galerie, d’un<br />

chemisier dont le col lui avait plu, « tu vois, Carmen, pas<br />

vraiment cassé mais droit et retombant sur les côtés comme<br />

soutenu par deux baleines invisibles… », d’un macaron au<br />

chocolat dégusté du bout <strong>des</strong> dents, « comme ça, je ne le mange<br />

pas vraiment et je ne grossis pas ! », d’une phrase entendue<br />

dans la rue ou d’une vieille qui tendait la main sur le trottoir et<br />

lui avait fait si peur qu’elle avait renversé sa monnaie dans la<br />

vieille paume parcheminée. « Oh, Carmen, j’ai eu si peur de<br />

- 70 -

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!