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Les yeux jaunes des crocodiles

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comptait vingt femmes et vingt et un hommes. Interdits étaient<br />

les métiers jugés trop fatigants pour les femmes. Ainsi la<br />

tapisserie de haute lice, car elle obligeait à tenir les bras tendus.<br />

On a souvent <strong>des</strong> idées toutes faites sur cette époque, on<br />

imagine les femmes retirées dans leur château, serrées dans leur<br />

hennin et leur ceinture de chasteté alors qu’elles étaient actives,<br />

surtout dans le peuple et chez les artisans. Beaucoup moins<br />

dans l’aristocratie, c’est sûr. Joséphine rêvassa un instant au<br />

début de sa conférence. Comment commencer : par une<br />

anecdote ? une statistique ? une généralité ?<br />

Le crayon en l’air, elle réfléchissait. Lorsque, soudain, une<br />

idée lui traversa le cerveau et éclata en bombe : J’ai oublié de<br />

demander combien je serai payée pour Audrey Hepburn ! J’ai<br />

pris mon ouvrage comme une bonne ouvrière et j’ai oublié. Une<br />

vague de panique la submergea et elle s’imagina prise dans un<br />

traquenard. Comment faire ? Appeler et dire : « Au fait, vous me<br />

payez combien ? C’est idiot ! J’ai oublié d’en parler avec vous » ?<br />

Demander à M e Vibert ? Impossible. Nouille et molle, nouille et<br />

molle, nouille et molle. Tout va trop vite ! se lamenta-t-elle.<br />

Mais comment faire autrement ? <strong>Les</strong> gens n’ont pas le temps<br />

d’attendre, pas le temps de réfléchir. Il aurait fallu que je note<br />

sur un papier toutes mes questions avant de me rendre à ce<br />

rendez-vous. Il faut que j’apprenne à aller vite, à être efficace.<br />

Moi qui menais une petite vie d’escargot studieux…<br />

Pour la traduction de la biographie d’Audrey Hepburn,<br />

Shirley lui donnait un coup de main. Joséphine marquait les<br />

mots ou les expressions qui lui posaient un problème et fonçait<br />

chez Shirley. <strong>Les</strong> portes n’arrêtaient pas de battre sur le palier.<br />

Mais là, sur le papier, les chiffres ne mentaient pas. Elle s’en<br />

sortait plutôt bien. Elle éprouva une sensation d’euphorie et<br />

étendit les bras pour mimer son envol. Heureuse ! Heureuse !<br />

Puis elle se reprit et invoqua le ciel que le miracle dure. Pas une<br />

seconde elle ne se dit : C’est parce que je travaille, parce que je<br />

n’arrête pas de travailler. Non ! Jamais Joséphine n’établissait<br />

le lien entre son effort et la récompense. Jamais Joséphine ne<br />

s’octroyait une félicitation. Elle remerciait Dieu, le ciel, Philippe<br />

ou M e Vibert. Elle ne pensait pas à s’accorder quelques lauriers<br />

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