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Les yeux jaunes des crocodiles

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délicieux, parfois torturant, de repérer le sentiment et de<br />

l’habiller du mot juste qui allait l’envelopper, telle une<br />

redingote. Elle s’échinait entre les quatre murs de son cabinet.<br />

Et même si elle jetait nombre <strong>des</strong> feuillets qu’elle noircissait,<br />

elle devait reconnaître que ce travail minutieux donnait une<br />

certaine intensité à sa vie. Elle n’avait plus envie de la laisser<br />

passer en déjeuners insipi<strong>des</strong> ou en après-midi de shopping.<br />

Autrefois, elle avait écrit. Des scénarios qu’elle voulait<br />

tourner. Elle avait tout arrêté quand elle avait épousé Philippe.<br />

Si je voulais, je pourrais me remettre à écrire… Si j’en avais le<br />

courage, bien sûr… Car il en faut du courage pour rester<br />

enfermée de longues heures à triturer les mots, à leur <strong>des</strong>siner<br />

<strong>des</strong> petites pattes velues ou <strong>des</strong> ailes afin qu’ils marchent ou<br />

s’envolent.<br />

Philippe… Philippe, répéta-t-elle en étirant une longue<br />

jambe hâlée et en faisant tinter les glaçons de son whisky-<br />

Perrier, pourquoi le quitter ?<br />

Pour me mettre dans cette course imbécile ? Ressembler à<br />

cette pauvre Bérengère qui bâille après l’amour ? Pas question !<br />

Ce n’est que pleurs et grincements de dents. Où sont les<br />

hommes ? crie la meute <strong>des</strong> femmes. Il n’y a plus d’hommes. On<br />

ne peut plus tomber amoureuse.<br />

Iris connaissait leur complainte par cœur.<br />

Ou bien ils sont beaux, virils et infidèles… et on pleure !<br />

Ou bien ils sont vains, fats, impuissants… et on pleure !<br />

Ou bien encore ils sont crétins, collants, débiles… et on les<br />

fait pleurer !<br />

Et on pleure de rester seule à pleurer…<br />

Mais toujours elles le cherchent, toujours elles l’attendent.<br />

Aujourd’hui ce sont les femmes qui traquent l’homme, les<br />

femmes qui le réclament à cor et à cri, les femmes qui sont en<br />

rut. Pas les hommes ! Elles appellent <strong>des</strong> agences ou pianotent<br />

sur Internet. C’est la dernière fureur. Je ne crois pas à Internet,<br />

je crois à la vie, à la chair de la vie, je crois au désir que la vie<br />

charrie, et si le désir se tarit, c’est que tu n’en es plus digne.<br />

Autrefois elle avait aimé la vie. Avant d’épouser Philippe<br />

Dupin, elle avait follement aimé la vie.<br />

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