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Les yeux jaunes des crocodiles

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Elle vint se placer à côté de lui et laissa tomber un livre. Il se<br />

baissa pour le ramasser et, se relevant, la reconnut et sourit.<br />

— C’est une habitude chez vous de tout laisser tomber !<br />

— C’est que je suis si distraite !<br />

Il rit doucement et ajouta :<br />

— Mais je ne serai pas toujours là.<br />

Il avait prononcé ces mots sur un ton monocorde et plat.<br />

Sans la moindre nuance d’espièglerie. Il faisait un constat, et<br />

elle eut honte de sa manœuvre. Elle ne savait plus que répondre.<br />

Elle s’en voulait d’être muette, chercha, chercha comment<br />

répliquer en étant spirituelle, mais resta silencieuse et rougit.<br />

— On est au printemps et vous portez toujours votre dufflecoat,<br />

se risqua-t-elle à dire pour que le silence ne s’installe pas.<br />

— J’ai toujours froid…<br />

Encore une fois elle resta silencieuse et se maudit. L’autobus<br />

s’arrêta à leur hauteur. Il la laissa passer et monta derrière elle,<br />

comme s’ils allaient tous les deux dans la même direction. Mon<br />

Dieu ! Ce n’est pas du tout mon chemin, remarqua Jo quand elle<br />

vit l’autobus prendre la direction de la place de la Boule. Elle<br />

alla s’asseoir et lui fit de la place pour qu’il s’installe à côté<br />

d’elle. Elle le vit hésiter un instant. Mais il se ravisa, la remercia<br />

et prit place à ses côtés.<br />

— Vous êtes enseignante ? demanda-t-il poliment.<br />

Il avait un long nez, <strong>des</strong> narines bien <strong>des</strong>sinées. Thibaut<br />

Grand Nez ? Ce serait plus original que Thibaut le Troubadour.<br />

— Je travaille au CNRS, sur le XII e siècle.<br />

Il fit une moue appréciative.<br />

— Belle époque, le XII e siècle. Un peu ignorée, sans doute…<br />

— Et vous ? demanda-t-elle.<br />

— Moi, j’écris une histoire <strong>des</strong> larmes… Pour un éditeur<br />

étranger. Un éditeur universitaire. Ce n’est pas très gai, vous<br />

voyez.<br />

— Oh ! mais ce doit être passionnant !<br />

Elle s’insulta intérieurement : quelle remarque idiote. Idiote<br />

et plate. Interdisant la réplique, le rebond.<br />

— C’était en quelque sorte le cinéma de l’époque, dit-il. Un<br />

moyen d’exprimer ses émotions en privé comme en public.<br />

Hommes et femmes pleuraient beaucoup…<br />

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