28.06.2013 Views

Les yeux jaunes des crocodiles

Les yeux jaunes des crocodiles

Les yeux jaunes des crocodiles

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

filles pour les vacances de février. À Noël non plus, elles<br />

n’étaient pas venues. Joséphine lui avait demandé l’autorisation<br />

de les emmener à Moustique chez une amie. <strong>Les</strong> filles se<br />

faisaient une joie d’aller là-bas. Il avait dit oui. Noël avait été<br />

triste et bâclé. Ils n’avaient pas trouvé de dinde sur le marché de<br />

Malindi. Ils avaient mangé du wapiti qu’ils avaient mâché en<br />

silence. Mylène lui avait offert une montre de plongée. Il n’avait<br />

pas de cadeau pour elle. Elle n’avait rien dit. Ils s’étaient<br />

couchés tôt.<br />

Il était mal en point depuis quelque temps. Bambi avait été<br />

dévoré par un vieux crocodile pugnace un jour qu’il se traînait,<br />

insouciant, sur le bord d’un étang. Cela avait complètement<br />

déstabilisé Pong et Ming. Ils les servaient en traînant leurs<br />

savates, avaient l’œil creux et larmoyant, ne mangeaient plus et<br />

s’étendaient sur <strong>des</strong> nattes pour se reposer à la moindre<br />

difficulté. Il devait reconnaître que lui-même avait été affecté<br />

par la mort de Bambi. Il avait fini par s’attacher à cet animal<br />

pataud et gluant qui le regardait d’un œil vitreux, attaché au<br />

pied de la table de la cuisine. C’était un lien entre les autres<br />

<strong>crocodiles</strong> et lui. Un trait d’union aimable. Il l’observait et lui<br />

trouvait une lueur humaine au fond de l’œil. Parfois même, il lui<br />

souriait. Il retroussait ses mâchoires et esquissait un sourire.<br />

« Tu crois qu’il m’aime bien ? » avait-il demandé à Pong. Il avait<br />

été attendri par la réponse affirmative de Pong.<br />

Seule Mylène résistait. Sa petite affaire prospérait. Son<br />

association avec mister Wei se précisait. « Laisse tomber ces<br />

sales bêtes et viens avec moi », soufflait-elle à Antoine, le soir,<br />

quand ils se glissaient sous la moustiquaire. Un autre départ<br />

après un autre échec, pensait Antoine, dépité, je ne fais que ça :<br />

collectionner les échecs. Et puis, ce serait plier bagage devant<br />

les <strong>crocodiles</strong> et, il ne savait pas pourquoi, il refusait cette<br />

solution. Il voulait, face à ces sales bêtes, partir la tête haute. Il<br />

voulait avoir le dernier mot.<br />

Il passait de plus en plus de temps en tête à tête avec eux. Le<br />

soir, surtout. Parce que, dans la journée, il s’éreintait à<br />

travailler. Mais le soir, après le dîner, il abandonnait Mylène à<br />

ses carnets de commande, à ses cahiers de comptes et partait<br />

longer les rives <strong>des</strong> <strong>crocodiles</strong>.<br />

- 513 -

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!