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Les yeux jaunes des crocodiles

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Joséphine s’exécuta. En quelques minutes la voiture était<br />

chargée, les gâteaux empilés à l’arrière et Jo posait une main sur<br />

les cagettes pour les retenir.<br />

— Regarde le plan, lança Shirley, et dis-moi s’il y a un autre<br />

chemin que de passer par l’avenue Blanqui ?<br />

Joséphine attrapa le plan qui traînait sur le plancher et<br />

l’étudia.<br />

— Que tu es lente, Jo.<br />

— Ce n’est pas moi qui suis lente, c’est toi qui es pressée.<br />

Laisse-moi le temps de regarder.<br />

— T’as raison. Tu es si mignonne de m’accompagner. Je<br />

devrais te remercier plutôt que de t’engueuler.<br />

Voilà exactement pourquoi j’aime cette femme, se dit Jo,<br />

tout en consultant le plan. Quand elle abuse, elle le reconnaît,<br />

quand elle a tort, elle le reconnaît aussi. Elle est toujours exacte.<br />

Ses mots, ses gestes, ses actes coïncident avec sa pensée. Rien<br />

n’est faux ni artificiel.<br />

— Tu peux prendre par la rue d’Artois, tourner dans<br />

Maréchal-Joffre et prendre à droite, la première, et tu tombes<br />

sur ta rue Clément-Marot…<br />

— Merci. Je devais livrer à cinq heures et voilà qu’ils<br />

m’appellent pour me dire que c’est quatre heures ou je peux me<br />

carrer mes gâteaux là où je pense. C’est un gros client, alors il<br />

sait bien que je vais m’exécuter le petit doigt sur le couture…<br />

Quand Shirley était énervée, elle faisait <strong>des</strong> fautes de<br />

français. Sinon elle parlait une langue remarquable.<br />

— La société se moque <strong>des</strong> gens. Elle leur vole leur temps, la<br />

seule chose non tarifiée que chacun possède pour en faire ce<br />

qu’il veut. Tout se passe comme si on devait sacrifier nos plus<br />

belles années sur l’autel de l’économie. Qu’est-ce qu’il nous<br />

reste après, hein ? <strong>Les</strong> années de vieillesse, plus ou moins<br />

sordi<strong>des</strong>, où on porte <strong>des</strong> dentiers et <strong>des</strong> couches-culottes ! Tu<br />

vas pas me dire qu’il n’y a pas un vice là-dedans.<br />

— Peut-être mais je ne vois pas comment faire autrement. À<br />

moins de changer la société. D’autres ont essayé avant nous et<br />

on ne peut pas dire que les résultats aient été concluants. Si tu<br />

envoies promener ta société, ils passeront par quelqu’un d’autre<br />

et tu perdras ton marché de gâteaux.<br />

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