Concerto à la mémoire d'un ange
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doutait presque qu’ils eussent existé. Il s’accrochait <strong>à</strong> son<br />
emploi de mari idéal comme un noyé <strong>à</strong> une bouée, c’était son<br />
salut, <strong>la</strong> réalité qu’il vou<strong>la</strong>it fabriquer. « Assurer le spectacle »,<br />
se murmurait-il souvent, « s’en tenir au rôle, ne rien montrer de<br />
mes inquiétudes ou de mes tumultes intérieurs. »<br />
N’avait-il pas raison ? Parfois <strong>la</strong> forme sauve. Quand le<br />
désordre menace, seules les apparences nous empêchent de<br />
nous abîmer dans le chaos ; elles sont fortes les apparences,<br />
elles se tiennent, elles nous retiennent. « Ne pas tomber », se<br />
répétait-il, « ne pas m’effondrer, ne pas céder <strong>à</strong> <strong>la</strong> peur, ni <strong>la</strong><br />
peur de ce qu’elle endure, ni <strong>à</strong> <strong>la</strong> peur de ce qu’elle m’infligera. »<br />
Ils ne savaient plus ce qu’ils pensaient. Ni d’eux-mêmes ni de<br />
l’autre. Le désastre avait éparpillé sur <strong>la</strong> table les cartes d’un jeu<br />
dont ils ignoraient les règles ; cependant <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die leur avait<br />
apporté <strong>à</strong> tous deux sa sagesse inattendue : vivre dans l’instant,<br />
se savoir éphémères, ne se fier qu’au provisoire. Dès lors, ils<br />
affrontaient chaque jour une montagne sans songer <strong>à</strong><br />
l’ascension du lendemain. Si beaucoup de détails demeuraient<br />
irrésolus entre eux, ils s’en occuperaient <strong>à</strong> l’heure venue, pas<br />
avant.<br />
Comme une déf<strong>la</strong>gration, les médias annoncèrent <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die<br />
de Catherine. Les radios, journaux et télévisions ne parlèrent<br />
que de ça pendant une semaine, tant elle était popu<strong>la</strong>ire, c’est-<strong>à</strong>dire<br />
respectée et aimée. Catherine eut l’impression de lire son<br />
éloge funèbre ; parfois, quelques compliments f<strong>la</strong>ttèrent son<br />
amour-propre ; souvent, elle se trouva jolie, voire très jolie, sur<br />
les vieilles photos reproduites ou les films d’archives<br />
qu’exhumaient les chaînes, d’autant plus jolie que ces dernières<br />
semaines avaient attaqué sa beauté. Quand elle se surprit en<br />
train de se congratuler, elle rougit d’abord puis se pardonna :<br />
après tout, quelles autres joies narcissiques lui restait-il ?<br />
Cependant, lorsqu’elle découvrit que des paparazzis<br />
campaient dans les rues avoisinantes, stationnaient devant <strong>la</strong><br />
sortie qu’elle empruntait toujours, <strong>la</strong> porte du Coq, au fond du<br />
parc, voire grimpaient sur les murs pour voler au téléobjectif un<br />
cliché de <strong>la</strong> première dame ma<strong>la</strong>de, elle convoqua le conseiller<br />
en communication du Président.<br />
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