Concerto à la mémoire d'un ange
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mais il était transfiguré : il avait retrouvé Catherine, il l’adorait<br />
de nouveau.<br />
Catherine agonisante avait composé un chant d’amour<br />
absolu, inouï, célébrant l’homme unique, celui qui l’avait<br />
enchantée, enthousiasmée, continuellement surprise, l’homme<br />
courageux, intelligent et déterminé qu’elle admirait.<br />
Nos vies sont ainsi faites que le regard qu’on y jette les rend<br />
terribles ou merveilleuses. Des événements identiques peuvent<br />
être déchiffrés comme des réussites ou des catastrophes. Si,<br />
pendant <strong>la</strong> brouille, Catherine avait interprété leur couple<br />
comme l’histoire d’un mensonge, elle l’avait revisitée, ses<br />
derniers mois sur terre, en y traquant un grand amour.<br />
Il en est des destins comme des livres sacrés : c’est <strong>la</strong> lecture<br />
qui leur donne un sens. Le livre clos reste muet ; il ne parlera<br />
que lorsqu’il sera ouvert ; et <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue qu’il emploiera sera celle<br />
de celui qui s’y penche, teintée par ses attentes, ses désirs, ses<br />
aspirations, ses obsessions, ses violences, ses troubles. Les faits<br />
sont comme les phrases du livre, ils n’ont pas de sens par euxmêmes,<br />
seulement le sens qu’on leur prête. Catherine avait été<br />
sincère en aimant Henri, sincère en le détestant ; <strong>à</strong> chaque fois,<br />
elle avait ordonné le passé en fonction de ce qu’elle sentait au<br />
présent. Sur le seuil de <strong>la</strong> mort, c’était l’amour qui dominait en<br />
elle de nouveau ; donc le fil d’or secret qui cousait les<br />
événements de leur vie, devenu le fil de l’écriture, avait été celui<br />
de l’amour.<br />
Un mois après <strong>la</strong> parution triomphale du livre, l’infirmière<br />
dans <strong>la</strong> confidence de Catherine fut reçue en tête <strong>à</strong> tête par le<br />
Président <strong>à</strong> l’Élysée. Bien qu’il se montrât fort bienveil<strong>la</strong>nt, ou<br />
peut-être parce qu’il se montrait si bienveil<strong>la</strong>nt, elle lui<br />
demanda de l’excuser : si elle l’avait trompé naguère en ne<br />
rendant pas le cahier qu’il réc<strong>la</strong>mait <strong>à</strong> <strong>la</strong> Maison de Rita, elle<br />
obéissait au souhait de Mme Morel.<br />
— Si vous saviez comme elle vous idolâtrait, monsieur ! Elle<br />
vous attendait du matin au soir. Elle ne vivait que pour vous.<br />
Sachant sa fin proche, elle s’était fixé deux buts : écrire ce livre<br />
et ne pas gêner votre réélection. C’est pour vous qu’elle a résisté.<br />
Lorsqu’elle a assisté <strong>à</strong> votre succès <strong>à</strong> <strong>la</strong> télévision, le dimanche,<br />
elle a pleuré en disant : « C’est bon, il a gagné, maintenant je<br />
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