Concerto à la mémoire d'un ange
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— Un amour exemp<strong>la</strong>ire… Quelle imagination !<br />
Du bout de ses doigts aux ongles rouge, couleur gelée de<br />
groseille, une teinte exaspérée et nette de carrosserie<br />
automobile, Catherine parcourut l’hebdomadaire le plus<br />
popu<strong>la</strong>ire de France, cette feuille <strong>à</strong> cancans que personne<br />
n’achète mais que, par miracle, tout le monde a lue, où des<br />
photos de leur couple s’épanouissaient sur plusieurs pages. Une<br />
légende qui reprenait le titre du reportage « Un amour<br />
exemp<strong>la</strong>ire » commentait chaque pose. Elle et Henri souriaient<br />
<strong>à</strong> l’objectif, se tenant par <strong>la</strong> main, épaule contre épaule, affables,<br />
propres, soignés, posés ou plutôt rangés dans les irréprochables<br />
appartements présidentiels.<br />
— Sommes-nous beaux ? se demanda Catherine.<br />
Elle peinait <strong>à</strong> répondre ; d’un œil devenu professionnel après<br />
vingt-cinq ans d’expérience politique, elle savait les photos<br />
superbes, mais eux ? Certes, le maquil<strong>la</strong>ge avait estompé leurs<br />
défauts, les retouches souligné leurs qualités, chacun arborant<br />
les vêtements qui le mettaient en valeur. Oui, ils avaient<br />
triomphé des outrages du temps, apparaissaient sous leur<br />
meilleur jour, correspondaient <strong>à</strong> leurs icônes ; cependant,<br />
étaient-ils beaux ?<br />
— Ce couple me p<strong>la</strong>irait-il si je le découvrais ?<br />
Difficile de répondre. Lorsqu’elle parvenait <strong>à</strong> cesser de<br />
penser qu’il s’agissait d’eux, elle continuait <strong>à</strong> voir un couple de<br />
puissants, un couple vivant au-dessus des autres. Ce qui,<br />
bizarrement, ne lui était pas sympathique. En elle survivait,<br />
malgré l’ascension sociale, l’élève des Beaux-Arts qui avait<br />
choisi l’anticonformisme et des études sans débouchés, <strong>la</strong> jeune<br />
fille sauvage qui préférait m<strong>ange</strong>r des pâtes pendant des mois<br />
que de subir le joug de ses parents, <strong>la</strong> femme libre qui avait<br />
rencontré Henri dans un bar près d’Assas sans croire que leur<br />
histoire durerait. Vingt-cinq ans plus tard, l’étudiante bohème<br />
se trouvait menottée <strong>à</strong> <strong>la</strong> gloire, figée en personnage officiel,<br />
Mme Morel, première dame de France, épouse du président de<br />
<strong>la</strong> République, épinglée dans le cadre doré du pa<strong>la</strong>is élyséen.<br />
— En tout cas, ce qui est certain, c’est que cette bonne<br />
femme, l<strong>à</strong>, sur les photos, je ne <strong>la</strong> fréquenterais pas.<br />
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