Concerto à la mémoire d'un ange
Concerto à la mémoire d'un ange
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Il avait hurlé dans le téléphone. Quelques secondes après,<br />
Rigaud pénétra essoufflé dans le bureau.<br />
— Rigaud, partez au Canada. Débrouillez-vous comme vous<br />
l’entendez, volez-le, payez-le, photocopiez-le, mais apportezmoi<br />
au plus vite un exemp<strong>la</strong>ire de ce livre. Tout de suite !<br />
Trente-six heures plus tard, Rigaud atterrit <strong>à</strong> Roissy, monta<br />
sur une moto-taxi afin de raccourcir <strong>la</strong> traversée de Paris et<br />
débou<strong>la</strong> dans le cabinet présidentiel.<br />
— Voici, monsieur, un exemp<strong>la</strong>ire de L’Homme que j’aimais.<br />
— Alors ?<br />
— Quoi ?<br />
— Vous l’avez lu.<br />
— Je n’avais pas le droit, je n’avais pas d’instructions, vous<br />
ne vouliez pas…<br />
— Rigaud, je vous connais ! Vous l’avez lu ! Non ?<br />
— Si, monsieur le Président.<br />
— Eh bien ? aboya Henri.<br />
Le visage de Rigaud s’empourpra, son nez se tordit <strong>à</strong> droite,<br />
<strong>à</strong> gauche, puis il dit en détournant les yeux :<br />
— C’est magnifique, monsieur… Bouleversant ! Le plus beau<br />
témoignage d’amour que j’aie jamais lu.<br />
Il sortit de sa poche un vaste mouchoir déplié et humide.<br />
— Excusez-moi, rien que d’y penser, j’en pleure encore.<br />
Écar<strong>la</strong>te, il quitta <strong>la</strong> pièce en se mouchant.<br />
Déconcerté, intrigué, inquiet, Henri saisit le volume et<br />
l’ouvrit.<br />
« À chaque instant, depuis cette chambre où je suis venue<br />
attendre ma fin, je me réjouis pourtant. Mon cœur est plein,<br />
mon âme est reconnaissante : je l’ai rencontré. Certes je vais<br />
mourir mais si j’ai vécu, si j’ai vécu un peu, si j’ai vécu<br />
beaucoup, c’est grâce <strong>à</strong> lui, Henri. Et <strong>à</strong> lui seul.<br />
Souvent je tremble en songeant que j’aurais pu ne pas me<br />
rendre dans ce bistro parisien où je cherchais des cigarettes,<br />
éviter cette table en formica où il reconstruisait – déj<strong>à</strong> – le<br />
monde avec ses amis étudiants. Dès que je le vis… »<br />
Henri ne lâcha pas le ruban des phrases jusqu’au mot final.<br />
En fermant le volume, non seulement il sanglotait comme<br />
toutes les personnes qui, <strong>à</strong> l’avenir, al<strong>la</strong>ient parcourir ce récit,<br />
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