Concerto à la mémoire d'un ange
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Ce genre exigeant ne pardonne pas <strong>la</strong> trahison.<br />
Si l’on peut utiliser le roman en débarras fourre-tout, c’est<br />
impossible pour <strong>la</strong> nouvelle. Il faut mesurer l’espace imparti <strong>à</strong> <strong>la</strong><br />
description, au dialogue, <strong>à</strong> <strong>la</strong> séquence. La moindre faute<br />
d’architecture y apparaît. Les comp<strong>la</strong>isances aussi.<br />
Parfois, je songe que <strong>la</strong> nouvelle m’épanouit parce que je suis<br />
d’abord un homme de théâtre.<br />
On sait depuis Tchékhov, Pirandello ou Tennessee Williams,<br />
que <strong>la</strong> nouvelle convient aux dramaturges. Pourquoi ? Le<br />
nouvelliste a le sentiment de diriger le lecteur : il l’empoigne <strong>à</strong> <strong>la</strong><br />
première phrase pour l’amener <strong>à</strong> <strong>la</strong> dernière, sans arrêt, sans<br />
escale, ainsi qu’il est habitué <strong>à</strong> le faire au théâtre.<br />
Les dramaturges aiment <strong>la</strong> nouvelle parce qu’ils ont<br />
l’impression qu’elle ôte sa liberté au lecteur, qu’elle le convertit<br />
en spectateur qui ne peut plus sortir, sauf <strong>à</strong> quitter<br />
définitivement son fauteuil. La nouvelle redonne ce pouvoir <strong>à</strong><br />
l’écrivain, le pouvoir de gérer le temps, de créer un drame, des<br />
attentes, des surprises, de tirer les fils de l’émotion et de<br />
l’intelligence, puis, subitement, de baisser le rideau.<br />
En fait, sa brièveté met <strong>la</strong> nouvelle au même p<strong>la</strong>n que <strong>la</strong><br />
musique ou le théâtre : un art du temps. La durée de <strong>la</strong> lecture –<br />
comme celle de l’écoute ou du spectacle – est régulée par le<br />
créateur.<br />
La brièveté rend <strong>la</strong> lecture captive.<br />
*<br />
Je suis sensible <strong>à</strong> une chose dont j’entends peu parler : <strong>la</strong><br />
juste taille d’un livre.<br />
En tant que lecteur, j’estime que <strong>la</strong> plupart des livres que je<br />
parcours n’ont pas leur juste taille : celui-ci fait trois cents pages<br />
alors que le sujet en appelle cent, celui-l<strong>à</strong> se limite <strong>à</strong> cent vingt<br />
tandis qu’il en commande cinq cents. Pourquoi <strong>la</strong> critique<br />
littéraire continue-t-elle <strong>à</strong> éviter ce critère ? Elle se contente<br />
généralement de souligner les longueurs, mais uniquement<br />
quand c’est terriblement f<strong>la</strong>grant.<br />
Carence d’autant plus surprenante que, dans les autres arts,<br />
on mesure cette adéquation du fond et de <strong>la</strong> forme. En<br />
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