Concerto à la mémoire d'un ange
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peux partir. » Quelques heures plus tard, elle s’enfonçait dans le<br />
coma. Seul un amour surhumain lui avait permis de tenir aussi<br />
longtemps.<br />
L’ultime mandat d’Henri Morel, s’il fut discuté par les<br />
analystes politiques – comment en serait-il autrement ? –<br />
donna <strong>à</strong> tous, y compris <strong>à</strong> ses adversaires les plus coriaces,<br />
l’occasion d’admirer l’homme.<br />
Non seulement on ne lui connut plus de maîtresses mais il<br />
entra dans une sorte de culte rendu <strong>à</strong> sa femme disparue, culte<br />
d’autant plus sincère qu’il s’avérait discret. Sous forme de<br />
photos, de tableaux, les portraits de Catherine envahirent<br />
l’espace intime du Président, même sa salle de bains. Avec son<br />
propre argent et l’appui de quelques mécènes, il ouvrit une<br />
fondation, <strong>la</strong> fondation Catherine-Morel, dédiée <strong>à</strong> l’art<br />
contemporain, passion de <strong>la</strong> défunte, afin d’encourager les<br />
jeunes artistes par des commandes, des voyages, des dotations.<br />
Parallèlement, le Président semb<strong>la</strong>it rattraper le temps perdu et<br />
lire enfin les livres qu’elle lui avait conseillés autrefois. Chaque<br />
soir, il s’iso<strong>la</strong>it dans leur ancien salon, mettait une musique<br />
dont elle raffo<strong>la</strong>it, un parfum d’ambiance qu’elle avait choisi, et<br />
se plongeait dans ces volumes. Entre ces pages, au-del<strong>à</strong> de sa<br />
disparition, il <strong>la</strong> rejoignait et tentait de poursuivre – ou de<br />
nouer ? – le dialogue avec elle.<br />
Cette dévotion intègre émut les âmes pures au-del<strong>à</strong> des<br />
frontières.<br />
Quel sentiment ne porte pas sur sa peau son contraire, tel le<br />
tissu sa doublure ? Quel amour est libre de haine ? La main qui<br />
caresse saisira tout <strong>à</strong> l’heure le poignard. Quelle passion<br />
exclusive ignore <strong>la</strong> fureur ? N’est-on pas capable de tuer avec<br />
l’impulsion qui unit, celle par <strong>la</strong>quelle on transmet <strong>la</strong> vie ? Nos<br />
sentiments ne sont pas ch<strong>ange</strong>ants mais ambigus, noirs ou<br />
b<strong>la</strong>ncs selon l’impact, tendus entre leurs contradictions,<br />
ondu<strong>la</strong>nts, serpentins, capables du pire comme du meilleur.<br />
L’amour s’était égaré dans les couloirs du temps. Lui et<br />
Catherine s’étaient aimés d’abord, puis ratés, s’appréciant<br />
ensuite en différé, l’un s’enf<strong>la</strong>mmant quand l’autre détestait, or<br />
<strong>la</strong> mort avait aboli <strong>la</strong> réalité et ses déficiences. Le souvenir<br />
permettait de corriger les erreurs, de supprimer les quiproquos,<br />
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