Concerto à la mémoire d'un ange
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— Non, assassin. Te souviens-tu comment nous avait<br />
surnommés Paul Brown, l’Américain qui organisait les stages<br />
musicaux ? Les frères ennemis, Caïn et Abel. J’étais le mauvais,<br />
Caïn, et toi le bon, Abel. J’étais celui qui devait tuer son frère. Ce<br />
que j’ai fait.<br />
Axel le fixa, plein de haine.<br />
— Ah, quand même, tu te sens coupable ?<br />
— Très. À présent, regarde : c’est toi Caïn et moi Abel.<br />
Stupide, non ? En vingt ans, nous avons échangé nos rôles. Tu<br />
n’es plus qu’une bombe de souffrance, d’exaspération et de<br />
haine. De toi qui étais une merveille, j’ai fait un monstre.<br />
Comment n’aurais-je pas honte ?<br />
Axel pointa l’arme sur lui, prêt <strong>à</strong> décharger.<br />
— Tais-toi.<br />
Chris continua avec véhémence :<br />
— Je t’ai gâché, Axel. Non seulement j’ai gâché ta vie, mais je<br />
t’ai gâché toi. Tu es devenu l’opposé de ce que tu étais. J’ai<br />
connu un <strong>ange</strong>, j’ai fabriqué un démon.<br />
— Tais-toi. Je suis responsable de ce que je suis devenu.<br />
Je l’ai voulu, « Plus jamais ça », c’est ce que je me suis dit en<br />
sortant du coma, « Plus jamais ça, je ne serai plus jamais<br />
victime. »<br />
— Étr<strong>ange</strong>. « Plus jamais ça », je me le suis aussi promis en<br />
arrivant <strong>à</strong> Paris : « Plus jamais ça, je ne serai plus jamais un<br />
assassin. »<br />
Ils songèrent un instant au sort ironique qui, <strong>à</strong> partir d’un<br />
événement, avait recyclé un sa<strong>la</strong>ud en altruiste, un saint en<br />
canaille.<br />
Un brouil<strong>la</strong>rd mouvant, profond et léger, une poix b<strong>la</strong>nche,<br />
s’instal<strong>la</strong>it autour d’eux, sans bruit, les ensevelissait sous son<br />
épais et sourd manteau.<br />
Axel reprit, pensif :<br />
— Lorsque je t’ai rencontré cette semaine au café, tu<br />
évoquais devant un de tes adolescents désespérés <strong>la</strong><br />
« rédemption ». Je n’avais pas entendu ce mot depuis des<br />
années, ni réfléchi <strong>à</strong> ce qu’il signifiait. Tu vibrais de tant de<br />
conviction que, je l’ai deviné, tu par<strong>la</strong>is de toi. Après m’avoir<br />
<strong>la</strong>issé comme un vieil hameçon au fond de l’eau, tu avais donc<br />
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