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Daniel Kaplan - Portail documentaire du Ministère de l'Ecologie

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Face au caractère incertain <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong><br />

communauté, nous lui préférons le terme <strong>de</strong><br />

« collectif » ou encore celui <strong>de</strong> « collectivité », moins<br />

connoté. Mais là encore, nous ne pouvons passer<br />

outre l’idée qu’un collectif ou une collectivité peut<br />

rester relativement « secrète » voire pratiquement<br />

invisible. Or les jeux vidéo en ligne ont pour<br />

particularité <strong>de</strong> soumettre à leur utilisateur un<br />

mon<strong>de</strong> fictif où les autres participants ne peuvent<br />

être ignorés, puisqu’ils font partie intégrante <strong>du</strong><br />

mon<strong>de</strong> proposé à l’usager. De même l’inci<strong>de</strong>nce<br />

sociale <strong>de</strong> ces pratiques rend ces mon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> moins<br />

en moins « invisibles » aux yeux <strong>de</strong> la société<br />

globale. Devant la multiplication <strong>de</strong> ces univers<br />

virtuels, souvent fort violents, la presse s’émeut, les<br />

associations familiales dénoncent, et le consommateur<br />

en re<strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Il y a ici bien une dimension<br />

« publique » <strong>de</strong> notre objet <strong>de</strong> recherche, qui nous<br />

oblige à revenir sur le concept <strong>de</strong> « public ».<br />

Le public et la figure emblématique <strong>du</strong> joueur<br />

Commençons par un rapi<strong>de</strong> retour sur la<br />

notion <strong>de</strong> « public » telle que la développent les<br />

professionnels <strong>de</strong> la télévision. La télévision offre<br />

<strong>de</strong>s raccourcis rhétoriques particulièrement<br />

frappants pour désigner les publics que les<br />

différentes émissions visent et tentent donc <strong>de</strong><br />

sé<strong>du</strong>ire. Comme le montre Jacqueline Beaulieu dans<br />

La Télévision <strong>de</strong>s réalisateurs6 , ces <strong>de</strong>rniers se sont<br />

attachés à construire <strong>de</strong>s figures symboliques <strong>de</strong>s<br />

consommateurs <strong>de</strong>s émissions qu’ils réalisaient. La<br />

formule « la ménagère <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> cinquante ans »,<br />

public visé en particulier par les fabricants <strong>de</strong><br />

lessives, s’est <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s décennies, imposée comme<br />

une quasi-caricature <strong>de</strong> la politique <strong>de</strong>s chaînes<br />

télévisuelles privées. Depuis les débuts <strong>de</strong> la<br />

télévision, mais cela vaut aussi pour d’autres médias<br />

plus anciens comme les journaux ou les romans dits<br />

« populaires », le « public » <strong>de</strong>vient une réalité<br />

imaginée, dont il s’agit <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r la réalité effective.<br />

La télévision inventera les mesures d’audience, mais<br />

le jeu vidéo en ligne mène la logique à son terme : le<br />

joueur <strong>de</strong> jeu vidéo en ligne, non seulement est<br />

parfaitement « visible », mais il se met en scène luimême,<br />

c’est-à-dire se rend public aux yeux <strong>du</strong><br />

« public ». Autrement dit, dans le cas <strong>de</strong>s jeux vidéo<br />

en ligne, il n’y a pas <strong>de</strong> « public » incertain et<br />

invisible, au sens général <strong>du</strong> terme (auquel cas le<br />

« public » serait davantage une « audience » c’est-àdire<br />

un « client »). Les collectifs observés dans les<br />

jeux en ligne7 participent donc à rendre apparent ce<br />

qui pourrait sembler constituer a priori comme une<br />

simple construction conceptuelle8 : un public.<br />

Il est en effet rare <strong>de</strong> pouvoir observer dans les<br />

faits un regroupement d’indivi<strong>du</strong>s ayant pour point<br />

commun la réception d’un même média, et plus<br />

Laurent Vonach<br />

particulièrement d’un pro<strong>du</strong>it médiatique spécifique.<br />

Ces cristallisations plus ou moins éphémères d’une<br />

réalité que la théorie a cernée, mais qui échappe<br />

souvent à <strong>de</strong>s vérifications empiriques « sur le vif »,<br />

peuvent ici être décrites avec précision. Le terme<br />

« public » est étroitement associé à celui d’« espace<br />

public », auquel cas il véhicule l’idée d’un collectif<br />

humain visible, dont les membres sont conscients<br />

d’être visibles. Cette visibilité est elle-même constitutive<br />

d’un être ensemble manifesté dans le lieu<br />

même <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> sa visibilité. Le public est ici<br />

tangible, concret.<br />

Soulignons d’emblée que dans le cas <strong>de</strong>s<br />

publics par média interposé, une même personne<br />

peut appartenir à la fois à l’espace public et rester<br />

dans l’espace domestique, ce qui rend son statut<br />

incertain. À quel point l’i<strong>de</strong>ntité physique garantit le<br />

statut <strong>de</strong> « public » reste une question centrale dans<br />

le cas <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s virtuels. En effet, une personne<br />

peut appartenir anonymement à un public sur un<br />

jeu vidéo en ligne, et ne pas déclarer dans l’espace<br />

relationnel non virtuel, sa présence en ces lieux<br />

virtuels. Il apparaît en effet plus que probable que<br />

nombre d’utilisateurs <strong>de</strong> jeux vidéo en ligne<br />

refusent <strong>de</strong> reconnaître « en public » leur goût pour<br />

ce genre <strong>de</strong> pratiques.<br />

On ne peut donc passer outre le sens commun<br />

<strong>du</strong> terme « public » qui suggère que quelque chose<br />

doit, dans les faits, être révélé aux autres. Une<br />

tautologie voudrait que ce qui est « public » est dans<br />

les faits manifesté dans « l’espace public ». Autrement<br />

dit, un public ne mérite cette définition que s’il fait<br />

montre d’une volonté <strong>de</strong> reconnaître <strong>de</strong> façon<br />

ouverte, son goût ou <strong>du</strong> moins sa consommation<br />

d’un pro<strong>du</strong>it ou service. Ce qui est en jeu ici, c’est le<br />

passage d’un acte <strong>de</strong> consommation au statut <strong>de</strong><br />

signe dans l’espace social.<br />

Cet acte <strong>de</strong> consommation peut être privé,<br />

auquel cas c’est le discours ou <strong>de</strong>s regroupements qui<br />

vont manifester le public (par exemple les « GT »,<br />

pour « Get Together », c’est-à-dire <strong>de</strong>s rencontres<br />

« dans la vie réelle » d’usagers <strong>de</strong> jeux vidéo en ligne).<br />

Cet acte <strong>de</strong> consommation peut aussi être<br />

directement public, pour les observateurs connectés à<br />

<strong>de</strong>s jeux en ligne. En ce sens, la consommation fait<br />

signe en soi, alors que dans le premier cas, celui d’une<br />

consommation dans un cadre privé, l’acte <strong>de</strong><br />

consommation pour acquérir une visibilité sociale,<br />

doit être « représenté » publiquement par un signe<br />

qui le désigne sans ambiguïté.<br />

Le concept <strong>de</strong> « public » présente donc <strong>de</strong>s<br />

approches intéressantes pour tenter <strong>de</strong> cerner la<br />

réalité <strong>de</strong>s « foules » (étant donné que cette « foule »<br />

peut prendre la forme <strong>de</strong> groupes structurés et<br />

6 Jacqueline Beaulieu – La Télévision <strong>de</strong>s réalisateurs – Paris, INA – La Documentation française, 1984.<br />

7 Cela vaut aussi pour d’autres pratiques sur réseaux, tels les « tchats » en temps réel, dont l’IRC, Internet Relay Chat.<br />

8 Voir à ce propos les développements sur les publics <strong>de</strong>s émissions télévisuelles <strong>de</strong> Sonia Livingstone et Peter Lundt, 1992, « Un public actif, un<br />

spectateur participant », in Hermès 11-12. Voir aussi Dayan <strong>Daniel</strong>, 1998, « Le double corps <strong>du</strong> spectateur », in S. Proulx (dir.), Accusé <strong>de</strong> réception,<br />

Paris/Laval, L’Harmattan & Presses <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Laval.

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