Daniel Kaplan - Portail documentaire du Ministère de l'Ecologie
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FIGURES SOCIO-SPATIALES DE L’APPROPRIATION D’INTERNET<br />
S’intéresser aux processus <strong>de</strong> changements que<br />
peuvent ou non suggérer la diffusion puis l’appropriation<br />
sociale d’Internet ou <strong>de</strong>s TIC en général,<br />
suppose d’apprécier correctement le rapport entre<br />
ce qui change et ce qui ne change pas dans une<br />
société donnée et à une pério<strong>de</strong> donnée. Or, le fait<br />
que la plupart <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s centrées sur les TIC<br />
adoptent comme prérequis que le changement en<br />
question soit ou sera pro<strong>du</strong>it par l’usage <strong>de</strong> ces TIC,<br />
aboutit immanquablement à conforter l’idée que<br />
ces outils sont porteurs <strong>de</strong> changements. Or, dans ce<br />
qui change ou qui est postulé comme tel, revient<br />
inlassablement l’idée qu’il s’agit <strong>de</strong>s rapports<br />
qu’entretient une société à son espace. L’ensemble<br />
<strong>de</strong>s expressions contemporaines qui s’efforcent <strong>de</strong><br />
rendre compte <strong>de</strong> certains aspects <strong>de</strong> changement<br />
social, rend compte <strong>de</strong> façon plus moins directe <strong>de</strong><br />
ce type <strong>de</strong> phénomène.<br />
Une sorte <strong>de</strong> consensus semble en effet s’être<br />
établi sur l’idée que l’usage <strong>de</strong>s TIC permettait <strong>de</strong><br />
faire disparaître les contraintes d’espace liées à la<br />
distance. De fait, le déploiement à la fois <strong>de</strong>s<br />
discours et <strong>de</strong>s usages <strong>de</strong>s TIC est contemporain<br />
L’une <strong>de</strong>s conclusions qui s’imposent alors<br />
consiste à considérer que le changement en question<br />
opère dans l’espace <strong>de</strong>s sociétés. L’usage <strong>de</strong>s TIC<br />
serait donc le vecteur, voire le catalyseur d’une<br />
recomposition spatiale ou territoriale. Les<br />
« territoires » et les « territorialités » numériques se<br />
substitueraient peu à peu aux territoires et aux<br />
territorialités traditionnelles.<br />
Ce type <strong>de</strong> raccourci procè<strong>de</strong> d’un déterminisme<br />
technique qui doit être remis en question.<br />
L’hypothèse qui sera explorée ici procè<strong>de</strong> quant à<br />
elle à rebours <strong>de</strong> cette tradition. S’il s’agit toujours<br />
d’étudier les dimensions sociales <strong>de</strong>s TIC, on<br />
considèrera que cette étu<strong>de</strong> révèle <strong>de</strong>s changements<br />
sociaux. On partira donc <strong>de</strong> l’hypothèse que les TIC<br />
n’ont a priori aucun effet sur les sociétés, sinon celui<br />
<strong>de</strong> proposer <strong>de</strong>s arrangements socio-spatiaux,<br />
autrement dit <strong>de</strong>s modalités particulières d’organisation<br />
<strong>de</strong>s espaces sociaux. Il s’agira alors, dans<br />
l’analyse <strong>de</strong>s sociétés, d’essayer d’i<strong>de</strong>ntifier les<br />
occurrences dans lesquelles apparaissent les TIC.<br />
On considèrera la dimension spatiale <strong>de</strong>s TIC<br />
comme une possible solution dans le dilemme qui<br />
se pose. Puisqu’elles opèrent à distance, quels sont<br />
les changements in<strong>du</strong>its dans le rapport à l’espace<br />
Emmanuel EVENO<br />
Maître <strong>de</strong> Conférences, HDR, Université <strong>de</strong> Toulouse-Le Mirail,<br />
Chercheur au CIEU-Cnrs (Centre Interdisciplinaire d’Etu<strong>de</strong>s Urbaines)<br />
et au GRESOC (Groupe <strong>de</strong> Recherches en Socio-Economie)<br />
que l’on peut constater auprès <strong>de</strong> leurs utilisateurs ?<br />
L’hypothèse <strong>de</strong> l’effacement <strong>de</strong>s distances ne<br />
pouvant être la seule, il s’agit d’explorer toutes les<br />
autres possibles, l’une <strong>de</strong> celles qui s’imposent est<br />
l’hypothèse urbaine, déclinée dans toute sa diversité.<br />
I. L’interprétation <strong>du</strong> changement<br />
dans les sociétés<br />
1. Le paradigme « techniciste »<br />
Jusqu’aux années 1970, la lecture dominante<br />
<strong>de</strong>s changements en cours dans les sociétés<br />
développées a été centrée sur la technique et le rôle<br />
moteur qu’on lui attribuait, accessoirement sur le<br />
rôle <strong>de</strong>s politiques publiques d’équipement en<br />
infrastructures.<br />
Un auteur américain, James Beniger, dans un<br />
ouvrage intitulé The Control Revolution : Technogical<br />
and Economic Origins of the Information Society 1 ,<br />
avait tenté d’i<strong>de</strong>ntifier la genèse <strong>de</strong> ces gran<strong>de</strong>s thèses<br />
« révolutionnaires » <strong>de</strong>puis 1950. Il avait ainsi repéré<br />
près <strong>de</strong> soixante-quinze inventions conceptuelles<br />
usant <strong>de</strong> la métaphore « révolutionniste », ou<br />
annonçant une « transformation sociale mo<strong>de</strong>rne ».<br />
Ce type <strong>de</strong> lecture privilégiait l’analyse <strong>de</strong>s effets ou<br />
<strong>de</strong>s impacts directs à la fois <strong>de</strong> la pro<strong>du</strong>ction et <strong>de</strong><br />
l’offre technologique. L’essentiel <strong>du</strong> débat politique,<br />
comme <strong>du</strong> débat social, portait sur les objets<br />
techniques, sur la capacité <strong>de</strong> la puissance publique à<br />
lancer <strong>de</strong> vastes chantiers technologiques : ainsi en<br />
France <strong>du</strong> Plan Calcul <strong>de</strong> 1966, puis <strong>de</strong> rattrapage<br />
téléphonique <strong>de</strong>s années 1970, <strong>du</strong> Plan télématique<br />
<strong>de</strong> 1978, <strong>du</strong> Plan Câble <strong>de</strong> 1982 jusqu’au Plan<br />
« Informatique pour tous » <strong>de</strong> 1984.<br />
Le rapport sur « L’informatisation <strong>de</strong> la<br />
société », remis au Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République<br />
française par Simon Nora et Alain Minc en 1978, a,<br />
<strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue, constitué une sorte <strong>de</strong> gui<strong>de</strong><br />
d’interprétation extrêmement subtil <strong>de</strong>s divers<br />
arguments possibles autour <strong>de</strong> cette lecture techniciste.<br />
Elle se perpétuera jusqu’au rapport <strong>de</strong> Gérard<br />
Théry sur « Les autoroutes <strong>de</strong> l’information » en<br />
1994, <strong>de</strong>rnier rapport <strong>du</strong> genre avant que la veine ne<br />
s’épuise et que ne lui soit substituée une autre veine,<br />
centrée sur les services pour l’essentiel.<br />
1 James Beniger, The Control Revolution : Technogical and Economic Origins of the Information Society, Harvard University Press, Cambridge,<br />
MA, 1986<br />
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