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Daniel Kaplan - Portail documentaire du Ministère de l'Ecologie

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Figures socio-spatiales <strong>de</strong> l’appropriation d’Internet<br />

les plus éloignées, entre celles qui célèbrent les<br />

bienfaits <strong>de</strong> la technique, <strong>de</strong> l’innovation et <strong>du</strong><br />

progrès technologique en général et celles qui<br />

entrevoient et dénoncent, parfois avec lyrisme et<br />

virulence, l’aveuglement contemporain face à une<br />

prochaine et inéluctable catastrophe.<br />

Il est assez courant, lorsque l’on entreprend <strong>de</strong><br />

travailler sur la question <strong>de</strong>s TIC, <strong>de</strong> renvoyer ces<br />

<strong>de</strong>ux positions dos à dos, en les excluant <strong>du</strong> champ <strong>de</strong><br />

la recherche sérieuse le cas échéant, mais en s’épargnant<br />

assez souvent le soin <strong>de</strong> démontrer en quoi ces<br />

travaux sont utiles, idéologiques, intéressants et peu<br />

convaincants.<br />

Nous avons choisi ici <strong>de</strong> ne pas nous épargner ce<br />

soin. Il ne s’agit pas pour autant <strong>de</strong> revisiter toute<br />

cette littérature, pas davantage <strong>de</strong> prendre argument<br />

<strong>de</strong> telle ou telle proposition ou formulation fragile<br />

(dans le genre <strong>de</strong> ce qui a été au cœur <strong>de</strong> la controverse<br />

Sokal, Bricmont), mais <strong>de</strong> montrer ce en quoi<br />

la déficience <strong>de</strong> prise en compte <strong>de</strong>s réalités géographiques<br />

(dans lesquelles nous inclurons <strong>de</strong> façon<br />

provisoirement impérialiste les réalités sociales)<br />

obère gravement les conclusions auxquelles ils<br />

parviennent. Nous nous sommes ici volontairement<br />

limités à un corpus ré<strong>du</strong>it, ne serait-ce que parce que<br />

cette littérature est abondante et fortement<br />

médiatisée. Dans la mesure où cette analyse critique<br />

n’est pas le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> notre démarche mais un<br />

exercice <strong>de</strong> type heuristique, il n’était pas question <strong>de</strong><br />

faire ici tentative d’exhaustivité.<br />

2. Les dynamiques sociales<br />

et la question <strong>de</strong>s usagers<br />

La figure <strong>de</strong> l’usager <strong>de</strong>s TIC comme acteur <strong>de</strong><br />

l’innovation commence à s’imposer dans les travaux<br />

<strong>de</strong> recherche en France autour <strong>de</strong>s années 1980. Cette<br />

évolution était toutefois engagée <strong>de</strong>puis plus<br />

longtemps dans d’autres pays tels que l’Allemagne où<br />

se faisait jour « <strong>de</strong>puis le milieu <strong>de</strong>s années 70, une<br />

conception <strong>de</strong> la technique comme construction<br />

sociale. Des formulations telles que « technogenèse »,<br />

« systèmes sociotechniques » (Ropohl, 1979),<br />

« détermination <strong>de</strong> la technique par le contrat social »<br />

(Fleischmann/Esse, 1989), et même « la technique<br />

comme processus social » (Weingart, 1989) suggèrent<br />

déjà un renversement <strong>de</strong> perspective. Il ne s’agit plus<br />

<strong>de</strong> l’imprégnation et <strong>de</strong> l’infléchissement <strong>de</strong> l’action<br />

humaine par la technique et sa rationalité propre,<br />

mais <strong>du</strong> développement et <strong>de</strong> l’utilisation <strong>de</strong> la<br />

technique par les hommes, en fonction <strong>de</strong> leurs<br />

capacités et <strong>de</strong> leurs intérêts » 6 .<br />

Le rôle <strong>de</strong>s « usagers » ou <strong>de</strong>s « usages » dans le<br />

succès <strong>de</strong>s innovations techniques dans le champ <strong>de</strong>s<br />

TIC, a été notamment éclairé par l’analyse <strong>de</strong>s<br />

« échecs technologiques », tels que le projet<br />

« Aramis » étudié par Bruno Latour ; un certain<br />

nombre d’expérimentations en matière <strong>de</strong> télégestion<br />

<strong>de</strong> l’énergie dans le cadre <strong>du</strong> programme « Pour<br />

habiter interactif » ou dans l’histoire <strong>du</strong> « Plan<br />

câble » … Dans ces trois cas, l’échec s’est révélé plus<br />

d’ordre « social » que « technique ». Dans ces trois<br />

cas, la rationalité technique se trouvait confrontée à la<br />

fois à la résistance <strong>du</strong> marché et à celle <strong>de</strong>s utilisateurs.<br />

Elle était contrariée par <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> coûts, <strong>de</strong><br />

rythmes <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ction <strong>de</strong>s paliers d’innovations,<br />

susceptibles <strong>de</strong> débloquer <strong>de</strong>s situations (le Plan<br />

Câble a notamment été lancé alors que la technique<br />

<strong>de</strong> la fibre optique n’avait pas atteint sa pleine<br />

maturité et posé d’innombrables problèmes qui ont<br />

occasionné autant <strong>de</strong> retards), <strong>de</strong>s difficultés d’appropriation<br />

ou d’usages sociaux mais aussi par<br />

l’éclatement <strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> sociale.<br />

Ces échecs pouvaient certes s’expliquer par le<br />

fait qu’ils étaient aussi <strong>de</strong>s paris technologiques.<br />

Après coup, il était facile <strong>de</strong> stigmatiser l’ambition<br />

démesurée <strong>de</strong>s programmes, leur inadéquation à <strong>de</strong>s<br />

éléments <strong>du</strong> contexte international, l’impréparation<br />

<strong>de</strong>s programmes, les conflits internes à l’organisation<br />

(comme l’ont montré notamment les travaux<br />

d’Edith Brénac pour ce qui concerne le Plan Câble),<br />

les évaluations imparfaites <strong>de</strong>s besoins ou <strong>de</strong>s<br />

« attentes » <strong>de</strong>s usagers/consommateurs…<br />

Le fait que l’usager ten<strong>de</strong> à <strong>de</strong>venir un acteur<br />

important correspond aussi à la diversification en<br />

cours <strong>de</strong> l’offre sur ces objets techniques.<br />

L’intro<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> paramètre « usages » est ainsi liée à<br />

une extension <strong>de</strong> la capacité <strong>de</strong> choix <strong>de</strong>s<br />

usagers/consommateurs, à une possibilité nouvelle<br />

qui se révèle importante, celle <strong>de</strong> sanctionner l’utilité<br />

<strong>de</strong> telle ou telle offre technologique. Or, cette<br />

tendance s’explique autant par l’évolution <strong>du</strong> mon<strong>de</strong><br />

social, <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> consommation que par<br />

les évolutions qui commencent à traverser les secteurs<br />

pro<strong>du</strong>ctifs et <strong>de</strong> services dans l’ensemble <strong>de</strong> ces<br />

champs.<br />

Conjointement à l’affirmation <strong>du</strong> paramètre<br />

« Usagers », il faut donc considérer les évolutions qui<br />

ont traversé le champ <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> biens et <strong>de</strong><br />

services, qui, à partir <strong>de</strong>s années 1980, est peu à peu<br />

saisi par ce que l’on a appelé tour à tour la « déréglementation<br />

», la « dérégulation », la « libéralisation »<br />

… et qui se concrétise par la remise en cause gra<strong>du</strong>elle<br />

<strong>de</strong>s monopoles publics, l’intro<strong>du</strong>ction <strong>de</strong> la concurrence<br />

dans un environnement <strong>de</strong> plus en plus<br />

internationalisé.<br />

Pour ce qui concerne spécifiquement le champ<br />

<strong>de</strong>s TIC, ce type d’évolution a été particulièrement<br />

bien mis en lumière par l’ouvrage collectif L’ordre<br />

communicationnel, dirigé par François Du Castel,<br />

Pierre Chambat et Pierre Musso 7 .<br />

6 Heidrun Mollenkopf ; « Choix techniques et types <strong>de</strong> familles » ; Chapitre 13, in A. Gras, B. Joerges et V. Scardigli (dir.), Sociologie <strong>de</strong>s<br />

techniques <strong>de</strong> la vie quotidienne, coll. Logiques sociales, Éd. L’Harmattan, 1992, p. 153.<br />

7 F. Du Castel, P. Chambat, P. Musso, L’ordre communicationnel. Les nouvelles technologies <strong>de</strong> la communication : enjeux et stratégies, Cnet/Enst,<br />

La Documentation française, 1989.<br />

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