Daniel Kaplan - Portail documentaire du Ministère de l'Ecologie

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VIII. Éléments pour des scénarios
Nous avons eu recours, pour aller plus loin, à
deux méthodes plus qualitatives.
La première a consisté à croiser les évolutions
possibles du contexte global et les exploitations des
NTIC par la société pour bâtir les cinq scénarios
présentés ci-dessous.
1. Scénario de « continuité »
On peut envisager une poursuite de la montée
de l’individualisme et du niveau de connaissance et
d’information, des tensions encore modérées, une
obsession du court terme contenue par des
minorités d’acteurs à vision plus lointaine, une forte
conscience écologique mais une faible possibilité
d’anticipation des différents pouvoirs publics.
Face aux risques, la frilosité reste de règle
notamment en Europe, ce qui implique peu d’innovations
dans tous les domaines, donc une
compétitivité des entreprises orientée sur les baisses
de coûts et non vers le renouvellement de l’offre.
Ceci est cohérent avec une mauvaise compréhension
de la technologie, une population
vieillissante, une montée des tensions et de la
fracture sociale, une perte de confiance orientant la
consommation vers des achats surtout fonctionnels
sauf pour les favorisés. L’économie s’en ressent, la
croissance est irrégulière, les exigences éthiques des
citoyens se heurtent à l’image qu’ils se font des
responsables institutionnels, ce qui contient des
germes d’explosion.
Une éventuelle explosion protestataire serait
d’autant plus grave qu’elle interviendrait dans une
période de reflux économique. Or la croissance a du
mal à se maintenir, à cause de la faiblesse du
renouvellement de l’offre, de la faible pertinence de
celle-ci due à une écoute insuffisante et à une
gestion de court terme qui ne permet pas de
préparer les innovations de rupture. De plus, la
fragilité de la confiance alourdit la demande.
Dans un tel contexte, les organisations
réellement en réseaux de partenaires demeurent
minoritaires, les vieux styles de management
cloisonnés et autoritaires prédominent et empêchent
de profiter pleinement des économies de moyens et
de temps favorisées par les NTIC dans d’autres
conditions. Les réseaux sont souvent détournés de
leur vocation pour renforcer les centres des organisations,
ce qui réduit l’expansion promise par les
marchés ouverts par le numérique.
Les collaborations à distance demeurant
limitées, les localisations du travail restent concentrées
et l’extension des métropoles continue, avec un
André-Yves Portnoff
habitat peu modifié. Les flux de transports
augmentent au profit des moyens privés individuels,
surtout si l’insécurité et la méfiance
intercommunautaire croissent.
Dans ce paysage, les contrastes entre pays
européens et entre entreprises seront assez
importants, facteurs d’écroulement d’organisations
attardées et de prises de contrôles de marchés par de
nouveaux acteurs. Dans le domaine des télécommunications
en particulier, certains opérateurs
traditionnels peuvent s’effondrer s’ils n’ont pas
renouvelé le contenu de leur métier susceptible
d’être vidé par la technique de la voix sur Internet
(« voix sur IP »).
Ce scénario est instable, ce qui n’exclut pas qu’il
se maintienne longtemps, mais il menace
constamment de céder la place à des scénarios
contrastés. Décrivons-en certains.
2. Scénario du « marché roi »
Le renforcement du paradigme libéral, la
montée des oligopoles, le poids des spéculations
boursières, l’affaiblissement des pouvoirs publics et
une éthique plaçant les gains au premier plan,
peuvent conduire à la prise de pouvoir de fait par
des milieux économiques et financiers, facilitée si
l’individualisme du chacun pour soi progresse
nettement.
Cela peut ouvrir une période de croissance
soutenue si suffisamment d’entreprises assument le
moyen court terme et innovent, jouant une
compétition à la fois par les coûts et l’innovation.
Plans sociaux et flexibilité imposée du travail
entament la confiance et créent une insécurité
sensible dans une société duale ; la croissance est
entretenue par les couches les plus favorisées et les
autres sont neutralisées en partie par la prise de
contrôle des réseaux d’information et un matraquage
des citoyens consommateurs exploitant toutes les
techniques de traitement des grandes masses de
données et d’expédition de messages personnalisés.
Dans ce contexte, les moyens privés de
transport ont toutes les chances de continuer leur
expansion, limitée seulement quand des bornes
physiques évidentes sont atteintes, engorgement des
centres villes ou des axes, niveau intolérable de
pollution. Des solutions marchandes sont alors
recherchées. La métropolisation se poursuit, avec la
multiplication de zones protégées pour classes
moyennes et supérieures. Le commerce électronique
grand public se développe d’autant plus que les
tensions dans la société, les peurs incitent à réduire
les déplacements.
La pérennité de ce scénario dépend de la
capacité des maîtres de la société mondiale à
s’imposer des limites et à modérer leur quête de la