Daniel Kaplan - Portail documentaire du Ministère de l'Ecologie
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5. Réseaux numériques et science fiction<br />
La science-fiction s’avère en fait le domaine qui<br />
a, sans aucun doute, le plus contribué à la réflexion<br />
sur les réseaux numériques. Les <strong>de</strong>scriptions, tout<br />
autant que les intuitions qu’elle suscite, sont d’ailleurs<br />
reprises par les chercheurs en sciences sociales qui ont<br />
parfois <strong>du</strong> mal à s’en distancier. La notion même <strong>de</strong><br />
cyberespace revient à William Gibson – une star <strong>du</strong><br />
roman fiction – qui le premier l’a utilisée dans<br />
Neuromancer (1984) alors qu’il travaillait sur les<br />
correspondances possibles entre le mon<strong>de</strong> matériel et<br />
le mon<strong>de</strong> immatériel. D’autres, comme Rheingold,<br />
travaillent plutôt sur l’idée <strong>de</strong> la « frontière (électronique)<br />
» d’un mon<strong>de</strong> nouveau5 :<br />
« Although I stayed in cyberspace for just a few<br />
minutes, that first brief flight through a computedcreated<br />
universe launched me on my own odyssee to the<br />
“outposts” of a scientific frontier » (H. Rheingold,<br />
2000, p. 9).<br />
« Bien que je ne sois resté dans le cyberespace que<br />
quelques minutes, ce bref survol d’un univers créé par<br />
l’informatique m’a propulsé dans une odyssée<br />
personnelle vers les postes <strong>de</strong> la frontière scientifique,<br />
H. Rheingold, 2000,p.9».<br />
La science-fiction atteste ainsi <strong>de</strong> l’émergence<br />
d’espaces virtuels <strong>de</strong> nature autre que la simple<br />
communication dite immatérielle. L’indivi<strong>du</strong>internaute<br />
libéré <strong>de</strong> toute contrainte sociale circule<br />
dans l’anonymat le plus complet, comme l’indique<br />
le terme « cyborg » utilisé à la suite <strong>de</strong> Dona<br />
Haraway qui précise qu’il est peu i<strong>de</strong>ntifiable par<br />
son sexe ou la couleur <strong>de</strong> leur peau (arguments <strong>de</strong><br />
poids dans la culture politique américaine) 6 . Ce<br />
courant <strong>de</strong> la science fiction pose bien les enjeux à<br />
moyen terme <strong>de</strong> nos sociétés <strong>de</strong> plus en plus<br />
inscrites dans un système <strong>de</strong> machines.<br />
Ce parcours sur la variété <strong>de</strong>s perspectives<br />
animant le champ <strong>de</strong> la réflexion sur les réseaux<br />
numériques et <strong>de</strong> leurs pratiques, permet <strong>de</strong> situer<br />
l’affiliation <strong>de</strong>s arguments mobilisés par la suite en<br />
vue <strong>de</strong> répondre au questionnement concernant<br />
l’émergence d’espaces publics en mesure <strong>de</strong> mettre<br />
en scène la société dans sa diversité.<br />
II. Réseaux sociaux/communautés<br />
virtuelles<br />
La figure <strong>du</strong> « cyborg » dans le cyberespace :<br />
mythe techniciste ou espaces publics émergents ?<br />
Les chercheurs désignent par les termes<br />
« cyberespace », « toile » (web), Espace Net ou<br />
Internet, les réseaux numériques ainsi que les<br />
pratiques s’y déployant. À partir <strong>de</strong> la figure <strong>du</strong><br />
cyborg et <strong>du</strong> cyberespace, <strong>de</strong>ux emprunts à la<br />
science-fiction, l’analyse distingue l’idée <strong>du</strong> renforcement<br />
<strong>du</strong> lien social <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> la mise en scène <strong>de</strong><br />
la diversité <strong>de</strong> la société (une expression équivalente<br />
à celle mieux diffusée <strong>de</strong> « mixité sociale »<br />
(C. Ghorra-Gobin 2001b-).<br />
1. Cyberespace et Cyborg :<br />
la genèse <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux termes<br />
Le terme « Cyberspace » créé en 1984 par le<br />
romancier <strong>de</strong> science-fiction, William Gibson7 , a<br />
immédiatement été adopté par la critique littéraire<br />
et les artistes. C’est un composé <strong>de</strong>s termes<br />
« cybernetic » et « space » qui désigne chez l’auteur<br />
les réseaux <strong>de</strong> communication électroniques <strong>du</strong><br />
futur préfigurant ainsi le réseau internet d’aujourd’hui.<br />
Il inclut également l’ensemble <strong>de</strong>s techniques<br />
en mesure <strong>de</strong> créer une réalité artificielle, c’est-àdire<br />
une simulation optique et immatérielle par<br />
opposition à la réalité physique. Gibson souligne le<br />
caractère hallucinatoire <strong>du</strong> cyberespace :<br />
« consensual hallucination experienced daily by<br />
billions of legitimate operators, in every nation, by<br />
children … Unthinkable complexity… »<br />
(William Gibson, Neuromancer, p. 67).<br />
(« une hallucination consensuelle faite par <strong>de</strong>s<br />
millions d’opérateurs et d’enfants dans toute<br />
nation… Complexité impensable »)<br />
Dans ce roman, le cyberespace est pratiquement<br />
« habitable » par les indivi<strong>du</strong>s, et les rapports<br />
physiques entre les protagonistes <strong>du</strong> roman ne sont<br />
envisagés que sous une perspective marchan<strong>de</strong>.<br />
Autrement dit, les différents personnages ne se<br />
rencontrent dans la réalité, que si cela est économiquement<br />
avantageux. Ils hésitent à sortir <strong>de</strong> leurs<br />
appartements et, la plupart <strong>du</strong> temps, leurs rapports<br />
avec leurs interlocuteurs sont médiatisés. L’intrigue<br />
<strong>de</strong> ce roman <strong>de</strong> fiction se déroule au XXI e siècle ; un<br />
univers où la réalité est phagocytée par un<br />
mouvement technologique présentant le mon<strong>de</strong><br />
physique ancien comme suranné et inondant les<br />
utilisateurs <strong>de</strong> signes, qui constituent en soi une<br />
nouvelle réalité sociale.<br />
Dans la lignée <strong>de</strong> Gibson, le terme « cyborg » –<br />
équivalent d’internaute en français – fut diffusé et<br />
instrumentalisé par une philosophe féministe<br />
américaine, Donna Haraway, dans un article publié<br />
dans Socialist Review (1985) et plus tard dans un<br />
ouvrage. Le terme cyborg évoque ce mixte d’être<br />
humain et <strong>de</strong> machine qui apparaît certes déjà avec<br />
l’automobile, mais s’amplifie avec les technologies <strong>de</strong><br />
communication et d’information. Ce nouvel hybri<strong>de</strong><br />
5 La thématique <strong>de</strong> la frontière est centrale dans l’imaginaire <strong>de</strong> la culture américaine cf. C.Ghorra-Gobin, « La “frontière”, espace <strong>de</strong> formation <strong>de</strong><br />
l’i<strong>de</strong>ntité nationale américaine », Hérodote, n° 72-73, janvier-juin 1997, 170-180.<br />
6 Rappelons que si Dona Haraway a réussi à faire <strong>du</strong> cyborg une figure centrale <strong>de</strong> l’univers <strong>de</strong>s réseaux numériques, le terme a été inventé par un<br />
scientifique ayant travaillé pour la NASA (National Aeronautics and Space Adinistration) comme l’indique l’ouvrage collectif <strong>de</strong> Chris Hables Gray,<br />
The Cyborg Handbook (1995).<br />
7 William Gibson, Neuromancer, Ace Book, 1984.<br />
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