chronique des arts et de la curiosité, année 1877 - World eBook ...

de sang, et derrière en manière d'apothéose, sont
les juges, les carabins, la foule. Une autre toile
représente les sensations du guillotiné: la tête pivote
sur elle-même à travers un épouvantable
pêle-mêle de viscères, de vapeurs sulfureuses, de
points de feu et d'éclairs, tournoyant dans quelque
chose de livide, de chaotique et d'inénarra-
ble.
Dans un même ordre de sujets philosophiques,
— c'était la chimère du peintre, — on voit Napoléon
descendu aux enfers, en capote grise et eu
petit chapeau ; des femmes, des mères, des épouses,
des sœurs, l'entourent, t' ndant vers lui des
morceaux de chair sanglants. Plus loin, un jeune
homme, le torse nu, se fait sauter la cervelle, et
derrière lui, le mur s'éclabousse d'une bouillie
rouge. Non loin de là, une femme en chemise et
portant un enfant dans ses bras [Vengeance d'une
dame belge) fait voler en éclats d'un coup de revolver
la tête d'un soldat français. Brochant sur
le tout, un ogre de dimensions colossales et qui,
debout (il est replié sur lui-même), atteindrait la
hauteur d'un second étage, engouffre entre ses
mâchoires armées de crocs toute une fournée de
petites gens, manants et bourgeois [Un grand de
la terre).
Au milieu de ces macabres, quatre toiles empreintes
d'un certain héroïsme d'imitation, sont
comme des moments lucides dans la confusion
d'un cerveau troublé ; ceux qui ont visité le musée
Wiertz se rappelleront, eu lisant ces lignes, le
Phare du Golgotha, le Triomphe du Christ, la
Chute des ajiges et le Patrocle.
Wiertz a eu peut-être un idéal, mais il n'a jamais
pu le définir. Nous le considérons comme un
monstrueux rêveur et comme le type d'un cerveau
faussé par le rêve d'une grandeur inquiétante.
Homme de lettres par les curiosités de son esprit,
il s'est imaginé laisser un sillon dans l'art en fai-
sant de \a. peinture d'idées \ il a peint des abstractions,
il a tenté de donner une forme aux choses
amorphes ; il n'a créé ni une figure vraie, ni un
geste nouveau.
Il n'a pa- fait davantage œuvre de peintre; c'est qu'il
n'en avait pas le tempéT'ament. Sa peinture paraît
aujourd'hui archaïque et démodée : ses noirs sont
opaques et durs; ses tous teudres, ses rosés de
chairs, ses pourpres de sang, où il s'imaginait ri-
valiser avec Rubens, manquent de fraîcheur et de
transparence ; il n'a eu ni le sens des harmonies
ni la poésie des vigueurs, et ses œuvres semblent
avoir été brossées à la force des poignets.
Wiertz était dans son art comme un gymna-
siarque sur ses trapèzes. Ajoutons que cet art
rien de simple ni de déterminé dans
était théâtral ;
le geste, ce verbe de l'action ; les personnages de
ses toiles ont toujours la bouche béante, les yeux
écarquillés, les bras tendus et les mains ouverte s ou
crispées, comme des comparses dopera ; aucun
ne raconte une émotion ; aucun ne donne la
note du sujet; chacun d'eux semble exercer
une évolution de virtuose dans un milieu qui ne
l'intéresse pas. C'est un art d'apparence et d'apparat,
— un art de mannequins et d'imagination
troublée, prenant le rêve de la grandeur pour
la grandeur elle-même.
La Barricade, de Delacroix, est bien autrement
terrible que ces étalages de peinture.
Wiertz a eu pourtant son heure d'originalité, mais
il l'a eue comme sculpteur ; trois groupes dont
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il avait rêvé de faire une trilogie, sont là pour
l'attester. Il a su caractériser dans le marbre un
idéal de grâce et de force où son esprit semble
s'être révélé pour la première fois ; il a jjeint en
sculptant. Mais cet homme singulier avait jugé,
sans doute, la gloire du peintre préférable à celle
du sculpteur, — la srule peut-être qui l'eût fait
vivre, — et cette contradiction mélancolique ajoute
encore aux incertitudes de son existence,
f Pour nous, nous considérons comme une bonne
action la consécration qu'il est question de donner
à l'œuvre sculptée d'Antoine Wiertz, en choisissant
un de ses groupes (le Triomphe de'la lumière)
et en l'érigeant sur une des places publiciues de
Bruxelles. Si nous osions, nous dirions que c'est
venger l'homme par lui-même, et dans tous les
cas, c'est affirmer le côté personnel de celui qui
s'est trompé et qui a trompé les autres avec tant
d'orgueil et de bonne foi.
Camille Lemonnier.
VENTES PROCHAINES
COLLECTION DE M. P...
La collection de M. P... est digne par son importance
de figurer au rang des grandes ventes dn
tableaux modernes qui se font en ce moment. Elle
contient, outre un certain nombre de tableaux
d'un mérite réel, un choix d'œuvres de premier
ordre.
Telles sont par exemple :
D'Eug. Delacroix, Démosthèiïes et la mer, peinture
ample et puissante; de Th. Rousseau. Les
grès de Fontainehienu, paysage fin, lumineux et
grand dans ses petites proportions; de Jules Dupré.
In Méridienne, un chef-d'œuvre de vérité,
)iuis, du même, les Bords de l'Oise; de Rosa Bonli(^ur.
Brebis et agneau égarés pendant Vovage. un
vrai drame de l'amour maternel; cinq ou six paysages
de Diaz, à sujets variés, où le talent du
peintre se manifeste sous tous ses aspects, avec
toutes ses qualités; de Paul Delaroche, Jésus chez
'Simon le Pharisien; de Corot, Moulin à vent et
Danse de nyrnplies; de Courbet, Intérieur de foret.
Chevreuils au.r écoutes, les Régates; dtî Royhet, le
Combat de chevaliers, très-énergique: eniin. des
toiles de Daubigny, Troyon, Gh. Jacque, Saint-
Jenu, Ph. Rousseau, de KnytT, Muller et autres.
Cette collection sera vendue par M.M. Escribe
et Haro, à l'Hôtel Drouot, salle 8, h' vendredi
16 mars, après deux jours d'exposition.
CO.NCKKTS DE ilLSIOLK CLASSIOUE
du Dimanche 1 1 McTrs.
Concert du Conservatoire. — Symphonie
en ré, Beethoven ; Près du ileuve étranger, chœur,
Gounod ; Ouverture de la Grotte de Fingnl, .Men
delssohn ; Air d'Orphée (M"e Battu), Gluck ; Pas-
sacaille, de Lulli ; Finale du 2= acte de la Vestale,
Spontini.
Concert Pasdeloup. — Le Désert, Félicien
David : lie/'or>nutions-Sinfo?iic, Meudelssohn ; Air
(lu liallet de Prométhée, Beethoven.
Concert du Châtelet. — 4"= audition de la
Da>iinatio?i de Faust, par Hector Berlioz.