chronique des arts et de la curiosité, année 1877 - World eBook ...
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L'ART AU THÉÂTRE<br />
Plusipurs pièces ont dèlilé <strong>de</strong>vant nous dont<br />
nous aurions pu dire quelques mois lorsqu'elles<br />
ont fait leur apparition. Mais <strong>la</strong> matière<br />
nous a seoihlé <strong>de</strong> trop mince importance.<br />
Dans les Exilés <strong>de</strong> <strong>la</strong> Porte Saint-Martin<br />
cependant, <strong>de</strong>ux tableaux méritent une mention.<br />
Dans le premier, un <strong><strong>de</strong>s</strong> quais <strong>de</strong> Pétcrsbourg<br />
apparaît au c<strong>la</strong>ir <strong>de</strong> lune, avec ses becs<br />
<strong>de</strong> gaz allumés, <strong>de</strong> l'autre côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> Neva, à<br />
ti'avers une arche <strong>de</strong> bois disloquée qui s'appuie<br />
à <strong><strong>de</strong>s</strong> maisons surplombantes. L'une<br />
forme coulisse, l'autre coupe en <strong>de</strong>ux <strong>la</strong><br />
scène, en arrière-p<strong>la</strong>n, <strong>et</strong> sert d'amorce à une<br />
rue qui s'enfonce dans l'ombre, à <strong>de</strong>mi obstruée<br />
par les échafaudages d'une bâtisse.<br />
Des agents <strong>de</strong> police sont apostés dans le?<br />
recoins obscurs, un honmie arrive : on le<br />
bâillonne, on le fouille <strong>et</strong> on l'emporte. Le<br />
chef <strong>de</strong> <strong>la</strong> police s'approche d'une porte, y al-<br />
— luma un cigare :<br />
murmure une voix à travers le judas <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
porte.— La lumière! — <strong>et</strong> il entre. Ce<strong>la</strong> dure<br />
quelques minutes à peine. Mais c<strong>et</strong>te scène<br />
presque mu<strong>et</strong>te dans ce carrefour sombre,<br />
rendu plus sombre encore par les<br />
fond, est d'un grand eff<strong>et</strong>.<br />
c<strong>la</strong>rtés du<br />
L'autre décor représente <strong>la</strong> rive d'un lleuve<br />
<strong>de</strong> Sibérie où parmi les roseaux s'é ève sur<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> pilotis <strong>la</strong> cabane d'un passeur. Des rochers<br />
forment coulisse sur <strong>la</strong> rive, près <strong>de</strong> <strong>la</strong> cabane,<br />
<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> arbres aux légères verdures se<br />
profilent du côté opposé, dans le brouil<strong>la</strong>rd,<br />
figurant <strong><strong>de</strong>s</strong> îles <strong>et</strong> l'autre rive.<br />
ParuQ lihénomène étrange ce tableau printanier<br />
<strong>et</strong> un précé<strong>de</strong>nt où l'on voit une foi <strong>et</strong><br />
ensevelie sous <strong>la</strong> neige épaisse <strong><strong>de</strong>s</strong> hivers <strong>de</strong><br />
Sibérie, sont le lieu <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux actions qui se<br />
succè<strong>de</strong>nt à moins <strong>de</strong> vingt-quatre lieures.<br />
On a bien raison <strong>de</strong> dire que les saisons se<br />
succè<strong>de</strong>nt rapi<strong>de</strong>ment dans le Nord.<br />
Mais revenons à <strong>la</strong> cai>ane du passeur. Deux<br />
fugitifs y soutiennent une fusil<strong>la</strong><strong>de</strong> contre d^s<br />
soldats russes embusqués <strong>de</strong>rrière les roches<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> rive, <strong>et</strong> les ais qui <strong>la</strong> forment se trouent<br />
ET DE LA CURIOSITÉ 179<br />
Que <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z-vous?<br />
<strong>et</strong> volent successivement en éc<strong>la</strong>ts sous les<br />
balles, ce qui ajoute limage d'une réalité au<br />
bruit <strong><strong>de</strong>s</strong> détonations.<br />
Mnlheurt usenient les armes à feu ratent<br />
quelquefois, <strong>et</strong> les Russes tombent ou les<br />
j)<strong>la</strong>nches volent sans que <strong>la</strong> poudre ait parié,<br />
<strong>et</strong>, comme <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>la</strong>zzi accompagnent presque<br />
chaque coup prévu par le texte, l'hi<strong>la</strong>iité <strong>de</strong><br />
l'auditùire n'a point <strong>la</strong> cause que l'on avait<br />
prévue.<br />
Aussi certains critiques regr<strong>et</strong>tent le temps<br />
où ï'>n feignait <strong>de</strong> se servir d'une arme dont<br />
<strong>la</strong> détLMiation était simulée par un coup <strong>de</strong><br />
mai'teau sur un tam-tam dans <strong>la</strong> coulisse. Ce<strong>la</strong><br />
ne ratait jamais. Mais si l'on s'en tien! à l'apparence<br />
d'un coup <strong>de</strong> fusil, lorsqu'on pourrait<br />
avoir le coup <strong>de</strong> fusil lui-même, puisqu'il se<br />
faut nécessairement contenter <strong>de</strong> l'apparence<br />
d'un arbre, d'un chanqi, ou d'une niontatrui»,<br />
d'un paysage enfin, pourffuoi ne pas jiousser<br />
<strong>la</strong> logique jusqu'à l'absur<strong>de</strong> »>t revenir aux marionn<strong>et</strong>tes<br />
qui sont <strong><strong>de</strong>s</strong> apparences d'acttnirs?<br />
Tout est convention au théâtre, dit-on.<br />
comme dans <strong>la</strong> peinture, d'ailleurs. Mais il<br />
faut bien prendre <strong>la</strong> nature <strong>et</strong> <strong>la</strong> réalité pour<br />
points <strong>de</strong> départ, <strong>et</strong>, toutes les fois (|ue <strong>la</strong><br />
réalité <strong><strong>de</strong>s</strong> choses peut lemp<strong>la</strong>cer leur apparence<br />
sans nuire h l'unité <strong>de</strong> l'ensemble, nous<br />
ne voyons pas <strong>la</strong> raison qui y ferait renoncer.<br />
Il y a là une question <strong>de</strong> mesure qui dénoti-<br />
les directeurs intelligents <strong>et</strong> artistes.<br />
Dans le Mauprat <strong>de</strong> l'Odéon, il n'y a qu'un<br />
seul décoi- qui soit rée lement pittoresque.<br />
C'est celui du château brûlé <strong>et</strong> en ruine df <strong>la</strong><br />
Roche-Mauprat, où se dénoue l'action, (ne<br />
poutre calciné(! traverse <strong>la</strong> scène à l'arrièrep<strong>la</strong>n,<br />
<strong>et</strong> un personnage s'y aventure pour parvenir<br />
à une tour éventrée.<br />
Dans un acte précé<strong>de</strong>nt, un salon s'ouvre<br />
sur un jardin d'hiver tout verdoyant <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
p<strong>la</strong>ntes à feuil<strong>la</strong>ge persistant les plus nou-<br />
velles. Or, <strong>la</strong> scène se passe à <strong>la</strong> lin du xviii''<br />
siècle, <strong>et</strong> le décorateur a eu soin <strong>de</strong> construire<br />
son édifice en pierre, avec ouvertures cintiées<br />
garnies <strong>de</strong> fenêtres, <strong>et</strong> vitrage porté par une<br />
charpente ite bois, ainsi qu'oii eût fait autrefois.<br />
Les palmiers nains, les <strong>la</strong>taniers, <strong>et</strong> toutes<br />
les piaules introduit- s <strong>de</strong>puis |)lusieurs <strong>année</strong>s<br />
dans nos serres <strong>et</strong> dans nos a[)[)artements, jurent<br />
avec c<strong>et</strong>te architecture re<strong>la</strong>tiveiufnt <strong>et</strong><br />
avec raison massive, <strong>et</strong> avec l'époque où l'action<br />
se passe.<br />
L'Opéra a trouvé dans le Roi <strong>de</strong> Lahorc un<br />
prétexte à déployer le luxe qui lui est habituel.<br />
Du luxe, il y en a certainement : du<br />
goût? c'est autre chose.<br />
On a beaucoup compté sur le décor <strong>et</strong> sur<br />
le ball<strong>et</strong> du Paradis d'Indra. Or, le décor <strong>et</strong> ce<br />
ball<strong>et</strong> sont <strong>de</strong> pur clinquant. Nul repos pour<br />
l'œil dans l'un, nulle niasse qui fa-^se corps dans<br />
l'autre. P<strong>la</strong>ntes <strong>et</strong> danseuses se nuisent. Kntre<br />
les végétations exotiques dont les colorai ions<br />
parcourent toute <strong>la</strong> gamme <strong><strong>de</strong>s</strong> rougH^ <strong>de</strong><br />
rubis aux vens d'opale, figurés en pleine lumière,<br />
<strong>et</strong> les danseuses toutes paill<strong>et</strong>ées d'or<br />
sur leurs vètemens <strong>de</strong> soie <strong>et</strong> <strong>de</strong> gaze colorées,<br />
sous l'imp<strong>la</strong>cable lumière <strong><strong>de</strong>s</strong> cintres, il<br />
n'y a nulle différence.<br />
De plus, chaque danseuse porte un costume<br />
différent, <strong>de</strong> sorte que tout papillonne, tournoie,<br />
s'agite <strong>et</strong> tourbillonne, dans un (désordre<br />
<strong>de</strong> couleurs indicible.<br />
C'est une tourhe <strong>et</strong> non une troupe. Les<br />
ballerines s'agitent, avancent <strong>et</strong> reculent, sons<br />
qu'on aperçoive que <strong><strong>de</strong>s</strong> gnuipcs s'en<strong>la</strong>cent <strong>et</strong><br />
se dénouent, suivant un <strong><strong>de</strong>s</strong>sin préc(Mi«:u.<br />
Le même eff<strong>et</strong> dislo.pié était à reprendre<br />
dans le ball<strong>et</strong> final <strong>de</strong> Si/lntuu, ce qui semble<br />
prouver que c<strong>et</strong>te esthétique domine aujourd'hui<br />
à l'0[iéra.<br />
Le ball<strong>et</strong> <strong>de</strong> Robert le Di'iblc, que nous revoyions<br />
l'autre soir, a[)partient à une esthétique<br />
altsolument opposée, t^ue nous [(référons,<br />
malgré les jupons lioul<strong>la</strong>nts <strong><strong>de</strong>s</strong> nonnes<br />
« impudiques » du monastère <strong>de</strong> Sainte-<br />
Rosalie... au XI* siècle.<br />
Dans le cortège <strong><strong>de</strong>s</strong> mares du tableau qui