chronique des arts et de la curiosité, année 1877 - World eBook ...

312 LA CHKOiMQUE DES ARTS
des fleuristes belges; ses trois petits tableaux sont
d'un coloriste gras, épris des tons veloutés, des
chatoiements sombres, de la note vivement jetée.
M"e de Vigne est plus délicate, avec une émo-
tion, un sentiment de touche qui dénotent le
peintre et le poète. M. Eyers a le grand tort de
paraître indifférent à ce qu'il peint; ses tableaux
sont bien arrangés, mais manquent de sensua'ité.
Je veux que l'eau me vienne à la bouche devant
une peinture de fruits et qu'une fleur ait son parfum,
sur la toile comme dans le jardin. Ce parfum,
je le retrouve dans les Roses de M. Van deu
Bosch, baignées de lumière et détachées d'un joli
fond gris. M. Van den Bosch, lui, cherche les accents
fermes, les ton? solides, l'exécution un peu
trop matérielle.
Franchissons la haie; nous voici dans les champs
avec MM. Heymans, Rosseeis, Baron, Coosemans,
tous noms qui se sont souvent rencontrés dans
mes chroniques. M. Heymans déroute à première
vue par sa facture empâtée, ses silhouettes confuses
; mais il a une vision très-personnelle du
plein air, il fait sentir la densité de l'atmosphère,
il est, avec M. Baron, le chercheur d'un certain
grand style qui n'est pas commun chez les paysagistes.
Sou Soleil coucha7it, travaillé au couteau,
truelle dans la pâte, est comme pris à l'improviste,
sur nature; il y a toujours ce côté d'à peu près,
cette verdeur crue d'esquisse, qui ne vont pas avec
la précision du tableau ; seulement, cela est trèssavant
chez notre homme et personne ne marque
mieux, avec plus de justesse ni plus d'entente de
l'etîet, le brouillassemeut du crépuscule, l'indéci-
sion des soirs de pluie, le grandissement des solitudes.
C'est un vrai flamand, épais, solide, consciencieux,
ne s'en rapportant qu'au témoignage
de ses yeux, très-circonspect sur le chapitre de
la palette, têtu dans sa recherche, nullement spirituel
ni élégant ; en voilà assez pour constituer une
personnalité. On en pourrait dire autant de M-
Jan Stobbaerts, le peintre brutal des petits ménages
anversois; mais la brutalité de ce dernier
va trop loin et visiblement se complaît dans une
afl'ectation de grosse peinture, d'exécution bavocheuse,
de délayages de suie malpropres. Tel est
le Passe-temps au dimanche, un morceau très-naivement
vu pourtant, d'une tournure toute populaire,
indiquant un observateur de la bonne
trempe. Le C/iioi qui lâche sa proie est moins féroce
d'exécution.
Trois paysages de M. Baron, une Fin d'hiver,
aigre, à lumière coupante, des terrains Ln Campine,
et des Peupliers en nictomiie, à feuillages
dorés, d'un ton pâle et doux. Trois Asselbergs,
tous trois peints dans la forêt de Fontainebleau^
un peu correctement sans le mystère qu'y ont su
mettre Rouiseau, Millet, Diaz. Trois Coosemans,
parmi lesquels deux paysages des environs de
Fontainebleau, égalenaent un peu secs, un peu
trop écrits, mais d'une belle tonalité fouillée, et un
troisième tableau, Parc de Tervueren, noyé dans
-des vapeurs où le soleil levant met sa grande
tache rouge, morceau décoratif très-enlevé, avec
des parties faibles. Deux Crépin dans la note habituelle
; puis encore des de Cock, le plus vert des
peintres, des Den Duyts, trop facilement faits,
sans solidité, des Goemans, des Hagemans, des
.Storm de Gravesande, des Goethals, deux Hannon
d'un accent mordant, l'un dans les verts de
l'été, l'autre dans les blancs de l'hiver, avec des
—
finesses de plein air, une
des Huberti. tendres comme
exécution poussée,
des pastels, des Lemayeur
justes de ton, mais cotonneux, des Montigny
dans la brume, veloutés, profonds, d'une
impression toujours sincère, un Berger de Raeymaekers,
bonne silhouette, tonalité discrète, facture
souple ; une bonne étude de verdures dans la lumière,
de Gaston Ragot; un Verger chaudement
éclairé, de G. Speeckaert; un efl'et de matin, de
M. Tscharner ; une charmante indication dans la
vapeur, de M. Van der Hecht ; une figure en plein
air, de M. Van Camp, dans des tons perlés ; enfin
deux toiles de .AI. Ter Linden, un talent très-afBrmé,
celui-là, un très-remarquable peintre, qui,
dans son Vieux jardin, rap^jelle Millet et Descamps
dans son Intérieur. Tel est le bilan des paysagistes
belges.
Peu de paysagistes français. Je relève seulement
les noms suivants : Emile Breton, impression
fraîche, Defaux, peinture lustrée , visant aux
coquetteries de la palette, Richet, tonalité chaude,
vision de seconde main, Bellangé , Bandit,
M'ie Courtiz, dont les grès, dans les Rochers de
1(1 Reine blanche, rappellent les beaux tons ar-
doisés de Courbet, Veyrassat avec une note claire,
vibrante.
M. Alfred Verwée est un bel animalier, d'une
sauté toute flamande. Sa Côte de Zélande, étoffée
d'un corpulent cheval gris-pommelé, mêle à un ciel
remuant, plaqué de jaune, de rouge et de violet,
des sables d'un jaune pâle où traînent des ombres
bleues. C'est le contraire de l'art de M. Heymans:
la lumière fait vibrer ici toutes les énergies de la
palette, une furie de coloris étalé et fort. Même
observation pour M'i" Venneman, très-nourrie
dans ses tons, mais turbulente dans l'exécution.
M. Alfred Hubert, au contraire, est le sang-froid
même, dans ses tableaux d'une exécution trè-nette
un peu mince, couvrant juste assez des ossatures
fouillées, un esprit de crayon toujours en éveil.
Puis viennent les marinistes. M. Artan, un œil
extrêmement sensible, rompu aux chatoiements
de l'eau, très-bel ouvrier en outre, quoique inégal;
M. Mesdag, brutal, attaquant la mer en marin,
d'une sincérité rare; M. Bouvier, chez qui l'on est
sûr de rencontrer de belles études de ciel.
Je signalerai en passant quelques bons intérieurs
de MM. Hennebick, Mellery, Blanc-Garin, Van
.Moer; une fort jolie vue de VÉgtise Sainte-Croix,
par M. Alex. Marcelle, dans une pâte nacrée, glacée
d'ombre grise, d'une chaleai" de ton soutenue; le
Pèlerinage, de M. Lhermitte, art sérieux, réfléchi,
d'une conscience rare; les Satyres, de M. Priou, les
envois de MM. Luminais, Delamarre, Gilbert,
Lefebvre, Lépaulle, Richter, Leleux, la plupart
entrevus déjà au Salon; un Mont-de-Piété par
M. Bokelmann, de Dusseldorf, études de types
réussis, dans un ensemble froid et vert, les portraits
de MM. Cluysenïier, Charlet, Claus, ceux-ci
d'une fermeté, d'un accent qui promet, une figure
nue de M. Legendre, bien charpentée, un peu
sommainement modelée toutefois; un Intérieur de
M. Impens, où ondule un air gris, très-fin, et je
m'arrêterai plus particulièrement à MM. Fantin-
Latour, Lieberman et Feyen-Perrin. Ce dernier
expose une Parisienne à Cancale; c'est la même
fillette fluette et éveillée, à la tête de moineau
franc, que le peintre a déjà tracée; et naturellement
le succès continue. Il s'explique par la mutinerie
du type, par la ligne souple du sein bridé par