chronique des arts et de la curiosité, année 1877 - World eBook ...

62 LA CHRONIQUE DES ARTS
les bras, les jambes, les reins, tout porte l'empreinte
d'une force pure, nourrie de la moelle des
beaux corps antiques. Nous croyons pouvoir
atfirmer que cette belle statue, qui fait honneur à
la sculpture nationale, figurera au prochain Salon
de Paris.
M. Armand Callier a eu, dans la sienne, une
autre ambition; comme M. Vauderstappen, il a
été séduit par l'image de la jeunesse et de la
beauté ; mais il a pris Tadolescent dans un moment
défini, dans le moment où l'homme commence
à le tourmenter de ses ardeurs. Sa statue
s'appelle DapJmis, et nous l'appelons, nous, le
Premier amour. C'est -un parfait contraste avec le
Jeune homme à l'épée que ce jeune berger dont les
yeux vagues semblent poursuivre la vision lointaine
de Chloë, — l'éternel amour et l'éternel désir ; ici la
songerie, les sens en éveil, les bouillonnements de
la sève, un cœur défaillant et des membres alanguis
; là, la vaillance d'un corps en action qui
s'étale au soleil, campé pour la lutte. Le rêve et
l'action! toute l'existence u'est-elle pas dans le
double symbole de ces deux statues fières et
jeunes? M. Callier a réalisé avec un sentiment
juste et délicat la fable virgilienne. Chloë n'a pas besoin
de paraître, elle se devine aux mollesses de ce
corps abimé dans la contemplation.
Comme vous l'avez appris par les journaux,
le jury belge pour l'Exposition universelle est
formé , mais formé si déplorablement que l'honorable
député de Bruxelles, M. Hagemans, a cru
devoir interpeller le ministre au sujet de sa com-
position. Ni Gallait, ni Madou, ni Stevens, ni
Villems n'en font partie. Gallait, il est vrai avait
refusé ; mais de toute justice, il eût fallu attendre
le refus des autres avant de' les rayer de la liste.
Et qui donc avait plus de droits à représenter la
Belgique que ce maître consommé, Alfred Stevens ?
Qui l'eût représentée avec plus de conviction, de
dévouement et de loyauté ?
Nous regrettons que M. Hagemans n'ait pas
poussé plus loin sa protestation: elle eût dû être
éclatante, au point d'entraîner le^ artistes à un
pétitionnement général.
•! Dans cette même séance , un autre député,
académicien, celui-là, M. Kervyn de Lellenhove,
avait attiré l'attention sur la nécessité de reformer
l'enseignement des arts du dessin ; chiffres eu
main, l'orateur avait démontré combien les petits-
fils des anciens Flamands s'étaient laissé distancer
dans les luttes pacifiques de l'art.
Le même orateur a été moins heureux lorsque,
rappelant le scandale d'Anvers, il a hautement
approuvé la Commission de l'Exposition d'avoir
proscrit les nus.
Nous mentionnerons, pour terminer, deux expositions
d'art, dues, l'une et l'autre à l'initiative
des élèves anciens et nouveaux de l'Académie.
L'effort général nous a paru insuffisamment sérieux
et nous avons constaté plus d'impuissance
que de science. Le roi, toutefois, a daigné encourager
les exposants en achetant un certain nombre
de leurs œuvres.
Camille Lemonnier.
LA FONTAINE DE DIANE
A FONTAINEBLEAU ET SON AUTEUR '.
Après bien des vicissitudes, les divers éléments,
dont se composait jadis, à Fontainebleau, un important
monument de la Benaissauce française,
vont se trouver réunis dans le Musée du Louvre.
Le hasard qui, plus que la prévoyance humaine,
a miraculeusement sauvé cette œuvre d'art et en
rapprochera les fragments si longtemps dispersés
m'a livré le nom de son auteur, resté jusqu'à ce
jour inconnu.
Tous les amis de la Benaissauce, tous les lecteurs
assidus du P. Dan se souviendront de ce
passage du Trésor des merveilles de Fontuinebleaii.
(Livre H, p. 174) :
« De la fontaine de la Diane. »
« Au milieu de ce jardin (celui de tla Beine) est
une belle fontame que le feu roy (Henri IV) y a
fait dresser avec un grand bassin rond, dans lequel
est élevé sur un haut piédestal une riche statue
de bronze de cinq pieds de haut, représentant
une Diane : celle-cy a esté moulée sur l'ori-
ginal de marbre qui estoit en ce mesme lieu et
jardin; et que Henry le Grand, faisant édifier cette
fontaine, a fait transporter à Paris au cabinet et
salle des Antiques du Louvre.... Au bas de cette
statue sont quatre grand chiens de bronze, aux
quatre coins de son piédestal. »
Une planche gravée par Abraham Bosse et
jointe au livre du P. Dan nous a conservé une
image exacte de la fontaine de Diane et des bronzes
qui la décoraient.
Les quatre chiens dont parle le P. Dan et qu'a
gravés Abraham Bosse existent encore. Après
avoir été égarés de 1816 à 1850 et 1872 dans les
jardins de Saint-Cloud, ils sont exposés au complet,
en ce moment, dans le Musée du Louvre,
sous les numéros 161, 162, 162 bis, 162 ter, sans
attribution d'auteur. Ils sont placés près de l'une
des fenêtres de la salle des Anguier.
Quant à la Diane de bronze, fondue pour Henri
IV, elle passe aujourd'hui pour être à Fontainebleau.
En effet, apportée de cette maison royale
à Paris pendant la Bévolution, déposée dans le
jardin de l'Infante , elle fut quelque temps placée
— elle ou plutôt un de ses sosies — dans le jardin
des Tuileries, sur la terrasse du bord de l'eau, et,
en 1813, on crut la renvoyer à sa première destination
en rendant à la fontaine de Fontainebleau
une Diane à la b'che. en bronze, absolument
semblable à celle qu'on en avait retirée. Mais,
comme on va le voir, une étrange substitution
avait eu lieu dans les magasins où se trouvaient
déjà la fonte jetée sous Louis XIV par les Keller,
rapportée de Marly en 1794, et plusieurs autres
reproductions du même chef-d'œuvre antique.
Jeudi dernier, M. Barbet de Jouy me fit l'hon-
1. Ou trouvera les notes et renvois de cet article,
dans le n» du 5 février du journal le Français, auquel
nous l'empruntons