chronique des arts et de la curiosité, année 1877 - World eBook ...

292 LA CHRONIQUE DES ARTS
et de reproductions de dessins; mais leur grand
attrait, la gi-ande nouveauté livrée à cette
solennelle occasion aux regards du public,
c'est le musée Plantin.
Notre collaborateur rendra compte ici même
de l'Exposition de tableaux anciens. Je n'ai
donc point à m'en occuper. Je dirai seulement
que les organisateurs de cette trop nombreuse
exposition, — elle comprend un millier de
numéros, — ont manqué tant soit peu de prudence
et de sévérité. Sous prétexte de ne froisser
personne, on en est venu à admettre des
œuvres de la plus navrante fausseté. Cette réserve
faite, je concède volontiers que, pour qui
sait voir et chercher un peu, cette exposition
contient une centaine de toiles d'un intérêt indiscutable.
On y rencontre des signatures rares
et peu connues, particulièrement sur des tableaux
de fleurs et de nature morte de trèsnotable
importance. On y rencontre aussi cinq
Rubans de qualité : la Chute des réprouvés, de
M. Suermondt, étude amoureusementlerminée
du grand tableau de Munich, — je suis entièrement
de l'avis de mon ami Paul Mantz sur
la valeur et l'authenticité de ce morceau
extraordinaire, — deux esquisses admirables,
comme Rubens en sait faire, un superbe portrait
d'homme et des Têtes de lions appartenant
au roi des Belges. Vy noterai encore
une œuvre d'un grand prix, c'est le portrait du
sculpteur Duquesnoy, par Van Dyck.
Le Musée Pîantin, que personne dans ces
dernières années n'avait été admis à visiter,
m'a touché jusqu'aux larmes. C'est une des
révélations et une des jouissances les plus
complètes qu'il m'ait été donné de marquer
dans mes voyages. Ce sanctuaire typographique
m'a intéressé à tant de titres, je l'ai
trouvé si plein d'enseignements et de surprises,
que je me réserve d'y revenir dans la
Gazette et d'y conduire dos lecteurs avec tout
le respect qui convient à une relique si rare,
avec toute la dévotion que mérite la mémoire
du vieux Plantin. Christophe Plantin est un
vrai grand homme. N'oublions pas en même
temps, ce qu'affectent de faire aujourd'hui
les Flamands, que ce pur Tourangeau est une
gloire pour la France, quoiqu'il ait fait d'Anvers,
i.ur le tard, sa patrie d'adoption. Que
d'estime, que de reconnaissance ne devonsnous
pas avoir pour une famille qui a su conserver
aussi pieusement, à travers les siècles,
jusqu'aux moindres parcelles de l'œuvre édifiée
par son chef illustre et, peu à peu, augmentée
par ses descendants, jusqu'au point de devenir
un édihce parfait et de proportions
gigantesques!
Je ne quitterai pas Anvers sans saluer du
souvenir ses églises et surtout Saint-Jacques
qui, avec le tombçau de Rubens, possède son
chef-d'œuvre, cette prodigieuse Suinte Famille
qui laisse dans le regard un éblouissement
ineffaçable, et son admirable Musée de peinture.
Celui-ci s'est enrichi de trois œuvres
Importantes, uu superbe Ruysdael, un Hobbéma
dont il n'y a plus à faire l'éloge, celui-là même
qui a été acheté 100.000 francs à la vente
Schneider et l'un des plus beaux qui soient,
enfiu, un portrait d'homme, le visage rasé,
coiffé d'un haut chapeau de castor, par notre
Louis David, morceau de première force, qui
soutient sans broncher le voisinage redoutable
de Van Eyck, d'Antonello de Messine et de
Van der Weyden.
Je pars pour la Haye, où m'attend notre ami
et collaborateur Henry Havard.
(A suivies.
)
Louis Gonse.
LE CENTENAIRE DE RUBENS
(CORt\ESPONDANCE DK nRUGIQUIî)
III
Lundi 20 août, troisième jour des fêtes, on
inaugurait au Musée des Anciens, à Anvers, le
buste de Rubens. Il est placé à l'entrée du
musée, sur un socle enguirlandé de feuillages,
largement décoratif, avec des mélanges pitto-
resques d'or jaune et de cuivre rouge ; et l'on
dirait la grande figure d'un héros ou d'un dieu
sur le seuil du temple. Toute la gloire de l'école
tlamande aboutit à un pareil homme, et,
après l'avoir contemplé à l'entrée, c'est encore
lui qu'on a dans la pensée à la sortie, sorte
d'énorme splendeur où se confondent les splendeurs
moins hautes. Ainsi se justifie ce buste
colossal, emplissant à lui seul l'ampleur du
vestibule, et ses grandes proportions en dehors
du musée s'expliquent par le rang qu'occupe
au dedans le peintre qu'il glorifie.
Il y aurait peut-être à redire à la ressemblance
; la tète ne se rapporte exactement à
aucun des portraits connus de Rubens ; et ce
n'est ni le Rubens à mi-corps, coiffé de son
chapeau, que Pontius a gravé en l