chronique des arts et de la curiosité, année 1877 - World eBook ...
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UN PORTRAIT DU CHANCELIER PIERRE SÉGUIER<br />
AU MUSÉE DU LOUVRE, PAR G. LÉONARD IlÉRAlsn<br />
Quand, au rez-<strong>de</strong>-chaussée du musée du Louvre,<br />
on passe <strong>de</strong> <strong>la</strong> salle <strong>de</strong> Pug<strong>et</strong> dans celle <strong>de</strong> Cuyze'vox,<br />
on remarque près <strong>de</strong> <strong>la</strong> porte, à droite,' un<br />
buste colossal eu marbre b<strong>la</strong>nc. Bien qu'exposé<br />
<strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> cinquante aus, c<strong>et</strong> ouvrage, sur<br />
l'origine <strong>et</strong> l'i<strong>de</strong>ntité duquel p<strong>la</strong>ne encore <strong>la</strong> plus<br />
gran<strong>de</strong> obscurité, n'a pas été compris dans les<br />
<strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières éditions du catalogue <strong><strong>de</strong>s</strong> sculptures<br />
mo<strong>de</strong>rnes. 11 ne paraîtra peut-être pas sans<br />
intérêt d'en indiquer l'auteur <strong>et</strong> d'en nommer<br />
l'originaL<br />
A première vue, le portrait est celui d'uu ma-<br />
gistrat revêtu <strong>de</strong> son costume officiel <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> insignes<br />
<strong>de</strong> l'ordre du Saint-Esprit. Les dimensions<br />
<strong>de</strong> l'œuvre indiquent, chez son auteur, les inten-<br />
tions d'une sorte <strong>de</strong> glorification posthume <strong>et</strong><br />
ten<strong>de</strong>nt évi<strong>de</strong>mment à l'apothéose du modèle.<br />
Nous sommes donc en face d'un personnage incontestablement<br />
très-important. D'un autre côté,<br />
sous l'ancien régime <strong>et</strong> à c<strong>et</strong>te époque surtout,<br />
le cordon du Saint-Esprit n'était pas prodigué à <strong>la</strong><br />
magistrature. Les plus hauts dignitaires <strong>de</strong> l'ordre<br />
judiciaire, les chanceliers presque seuls pouvaient<br />
aspirer à c<strong>et</strong> honneur. Les premières présomptions<br />
doivent donc porter à croire que le personnage<br />
a été chancelier <strong>de</strong> France , <strong>et</strong>, comme<br />
l'œuvre appartient certainement au xvii^ siècle, le<br />
premier effort à tenter consiste à confronter successivement<br />
avec notre buste <strong>la</strong> physionomie <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
magistrats qui, <strong>de</strong> 1600 à 1700, ont occupé, en<br />
France, le poste <strong>de</strong> chancelier. L'épreuve est, du<br />
premier coup, concluante. Le buste rappelle ef<br />
ne peut rappeler que les traits <strong>de</strong> Pierre Séguier,<br />
mais non pHS tels que <strong>la</strong> postérité les a reçus <strong>et</strong><br />
adoptés d'après <strong>de</strong> nombreuses gravures <strong>de</strong> Moncorn<strong>et</strong>,<br />
N. PJcart, Desrochers, Mel<strong>la</strong>n (1G39), Michel<br />
Lasue (1G43), Grégoire Hur<strong>et</strong> (l^r type;, Ilumbe-<br />
lot, Lenfant (1653), Dar<strong>et</strong>, <strong>et</strong>c. (1) Ce n'est pas <strong>la</strong> tête<br />
énergique du terrible justicier <strong>de</strong> <strong>la</strong> Normandie,<br />
du vigoureux agent <strong>de</strong> Richelieu <strong>et</strong> <strong>de</strong> Mazarin, <strong>de</strong><br />
l'homme à <strong>la</strong> barbiche caractéristique, au rogue<br />
aspect <strong>de</strong> parlementaire. C'est le Séguier vieilli<br />
dans les honneurs, béatement épanoui par le<br />
(1) Pour avoir une liste plus complète <strong><strong>de</strong>s</strong> portraits<br />
gravés <strong>de</strong> Pierre Séguier, il faut consulter le tome IV<br />
du P. Lelong, édition F. <strong>de</strong> Font<strong>et</strong>te. Les très-nombreux<br />
portraits du chancelier peuvent tous se ramener à<br />
trois types principaux :<br />
1» Type du magistrat à <strong>la</strong> barbiche r<strong>et</strong>roussée dont<br />
nous avons énumeré ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus les princ pales reproductions<br />
<strong>et</strong> dont l'estampe <strong>de</strong> Mel<strong>la</strong>n est, en général, le<br />
point <strong>de</strong> départ ;<br />
2» Type du Séguier engraissé, tête à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> Louis<br />
XIV, p<strong>et</strong>ite moustache <strong>et</strong> mouche, tel qu'il a été lixé<br />
par Lebrun <strong>et</strong> reproduit par Nanteuil en 1607, une première<br />
loi.s par Larmessin en I6G1, une première fois par<br />
Van Schuppen en 1062 <strong>et</strong> enfin par Jacques Lubin, pour<br />
les hommes illustres <strong>de</strong> Perrault i<br />
3" Type du vieil<strong>la</strong>rd au visage imberbe conservé par<br />
<strong>la</strong> secon<strong>de</strong> estampe <strong>de</strong> Van Schuppen <strong>et</strong> par <strong>de</strong>ux nouvelles<br />
p<strong>la</strong>nches l'uue Je Grégoire Ilur<strong>et</strong> <strong>et</strong> l'autre <strong>de</strong><br />
Larmessin.<br />
ET DE LA CURIOSITÉ<br />
223<br />
succès, confit dans sa vanité <strong>et</strong> sa « gran<strong>de</strong>ur »<br />
comme l'a dépeint Tallemant dc-s Rivaux (1). le<br />
Séguier à <strong>la</strong> face complètement rasée, au ma«àue<br />
alourdi <strong>et</strong> ravagé par l'àgo, tel que nous le fait<br />
< eja pressentir l'estampe <strong>de</strong> Van S.lmppen datéo<br />
<strong>de</strong> 1668. Cest le ma-:istrat éméiite, prol.'ctc.ir <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
l<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> art^. Les proportions coiossal.-s .-t<br />
les conventions inséparaijles <strong>de</strong> tout jiorlrait (.flj-<br />
ciel ou monumental, les prétentions visibb-s d'un<br />
artiste qui se guindé <strong>et</strong> vise au slvl.- gran.lios.-,<br />
ont encore altéré le type <strong>la</strong>issé |.ar"Van Scliui.poii<br />
qui, lui-même, diirérait déjà sensiblement <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
figure hisloriquement acceptée du clianeelier.<br />
Voilà pourquoi un personnage <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te célébrité<br />
a pu être aussi longtemps méconnu.<br />
Si maintenant on veut essayer <strong>de</strong> connailro a<br />
priori l'école à <strong>la</strong>quelle appartient c<strong>et</strong>te tpuvre <strong>et</strong><br />
nommer approximativement l'atelier d'où elle est<br />
sortie, ou [.eut arriver assrz facilement à fornu<strong>de</strong>r<br />
une opinion très-vraisemb<strong>la</strong>ble. C<strong>et</strong>te scidpture<br />
vi<strong>de</strong> <strong>et</strong> pompeuse, au mo<strong>de</strong>lé ronl<strong>la</strong>nt, aux procédés<br />
sans individu.ilité, aux ri<strong><strong>de</strong>s</strong> poncives,<br />
trahit le goût <strong>de</strong> l'Académie dan.- C(! qu'il a <strong>de</strong><br />
moins bon. C'est un portrait traité en « noble tête<br />
<strong>de</strong> vieil<strong>la</strong>rd » par un praticien habile, qui veut<br />
montrer tout ce qu'il sait faire <strong>et</strong> qui est lourd<br />
croyant être grand. On <strong>de</strong>vine encore, dans ce<br />
marbre, un travail entrepris sur comman<strong>de</strong> oflicielle,<br />
exécuté loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, peut-être rétrospectivement.<br />
En un mot, on se sent en présence d'une<br />
œuvre académique du xvii" siècle, <strong>et</strong> on peut din;<br />
que son auteur, s'il avait du talent <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> facilité,<br />
n'a pas prouvé par ce buste qu'il eût une originalité<br />
puissante.<br />
C<strong>et</strong>te double conclusion est absolument confirmée<br />
par les faits qui résultent d'une enquête approfondie<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'élu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> provenances. Le marbre<br />
portait, dans l'inventaire <strong>de</strong>là Restauration, le<br />
numéro 2.163. 11 était déc<strong>la</strong>ré œuvre <strong>de</strong> Coyzevox<br />
<strong>et</strong> regardé comme le portrait <strong>de</strong> Le Tellier. mar-<br />
quis <strong>de</strong> Louvois. Il fut exposé dans <strong>la</strong> galerie<br />
d'Augoulême, en 1824, <strong>et</strong> ainsi décrit dans le catalogue<br />
du comte <strong>de</strong> C<strong>la</strong>rac:» N» 20. .Michel Le Tellier,<br />
marqu s <strong>de</strong> Louvois, buste en marbre. Hauteur.<br />
724 m. Ce buste n'offre rien <strong>de</strong> remarquable el il<br />
est assez grossièrement travaillé. » Plus tard, l'erreurcommise<br />
fut en partie reconnue parC<strong>la</strong>rac ou<br />
jiar ses continuateurs <strong>et</strong>, sous le numéro 3,5;i4<br />
dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nche 1120 du Musée <strong>de</strong> srui/ilure (al<strong>la</strong>s,<br />
tome VI ; texte, tome VI; p. 209 <strong>et</strong> 217). ou restitua<br />
au buste méconnu sou vrai nom <strong>de</strong> Pierre Séguier.<br />
Mais, en le gravant, on lui donna comme<br />
auteur Jacques Sarrazin. C<strong>et</strong>te nouvelle erreur<br />
était déjà traditionnelle.<br />
La pièce venait en elf<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> P<strong>et</strong>its Auguslins <strong>et</strong>,<br />
<strong>de</strong>puis 1810, Lenoir l'avait ainsi cataloguée :<br />
« N° 232. - Buste colossal en marbre b<strong>la</strong>nc <strong>de</strong><br />
Pierre Séguier, né à Paris en 1388. <strong>et</strong>c. Il nmnrnl<br />
chancelier'<strong>de</strong> France en IG72, à l'Age <strong>de</strong> 84 nus,<br />
<strong>et</strong>c. Ce beau buste, <strong>de</strong> <strong>la</strong> main <strong>de</strong> Sarrazin, mérite<br />
d'être remarqué |)ar <strong>la</strong> finesse <strong>de</strong> l'expression<br />
<strong>et</strong> <strong>la</strong> pur<strong>et</strong>é du travail. »<br />
Nous n'avons pas à nous occuper <strong>de</strong> l'allribu-<br />
tion toute hypothétique <strong>et</strong> toute gratuite (pie Lenoir<br />
a faite <strong>de</strong> ce buste à Sarrazin. Nous avons dé-<br />
jà parlé ailleurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> manie qu'avait Leuoir d'ut-<br />
il) Hi$lori<strong>et</strong>tes, édition do Monnierqu»'<br />
1854, toine III, p. 385 <strong>et</strong> suiv.