chronique des arts et de la curiosité, année 1877 - World eBook ...

exquise sortie de VAcadémie de Léonard,
dont elle porte, au plus haut degré, l'empreinte
originelle ; comme lui, j'ai été amené
à la rapprocher du portrait de femme, connu
sous le nom de la Belle Feryomiiére, qui fait
également partie de notre musée national ;
mais je ne saurais accepter ce qu'il dit de
l'emblème brodé sur le corsage de la jeune
princesse.
Cet emblème, — un anneau encadrant deux
mains qui versent, au travers d'un tissu, dans
le calice d'une fleur, « une poussière fécondante
et mystérieuse »,— n'est point personnel
à Béatrix, et n'a point été composé à l'occasion
de son mariage avec Louis le More, C'était
un héritage de famille. Borso, premier
duc de Ferrare, son oncle utérin, mort le 20
août 1471, en faisait déjà usage, alors qu'il
était simple marquis d'Esté, comme le montre
le revers d'un petit médaillon à son effigie,
exécuté par le milanais Amadeo (V. planche
XV, n" 1 , de la Série des Médailles coulées et
ciselées en Italie, 2* partie : Trésor de numismatique
et de glyptique).
Là se voit simplement une fleur qui répand
son pollen dans le calice d'une seconde fleur,
largement épanouie, placée au-dessous d'elle ;
mais l'amipau apparaît sur une autre médaille
de Rainaud d'Esté, datée de 1469 {Même
ouvrage, pi. XXIV n" 11. Cette fois, la plante,
dont la fleur n'a pas encore été fécondée,
enlace amoureusement l'anneau de ses deux
feuilles symétriques de même que sur la broderie
reproduite en marbre.
La plante, représentée sur ces deux médailles,
me semble être le souci, fort à la mode en
Italie, aussi bien qu'en France, àcette époque.
Pour ne citer que deux autres exemples de
son emploi, «vec une signilication analogue,
je rappellerai le revers d'un n^édaillon de
Louis III de Gonzague, grand aussi, dans le
recueil indiqué plus haut (pi XXII, n° 5), et la
miniature principale d'un livre d'Heures, où
se voit une sainte femme présentant à la Vierge
et à l'enfant Jésus une jeune fille, pour laquelle
le volume a été fait dans les dernières années
du xV siècle. Sur la bordure, sont peintes des
tiges de soucis, enlacées par couples, avec la
devise: PERDVRABLEMENT, sept fois répétée.
Au-dessous est un éou en losange aux armes
de Montmorency, chargées d'une brisure (i).
En s'appropriant l'emblème qui nous occupe,
Béatrix d'Esté n'a donc fait que continuer la
tradition des siens, et c'est par aff"ection pour
sa femme que Louis le More s'en est servi, à
son tour, à un moment donné.
Je me contente, cher monsieur, de signaler
ces indications à M. Courajod, n'ayant pas
présentement sous la main les éléments d'une
discussion plu» approfondie.
S'il désire entrer dans le vif du sujet, il ne
devra pas perdre de vue ce fait caractéristique :
le père de Béatrix, Hercule d'Esté, avait pris,
de son côté, pour emblème personnel, le palmier,
dont la fécondation artificielle était an-
(1) Celte belle miniature, malheureusement
détériorée, faisait partie de la collection de feu
M, Florimond Bonsergent, archéologue de Poitiers.
ET DE LA CURIOSITÉ 309
ciennement connue. Deux beaux médaillons,
l'un modelé par Sperandio,rautre,parBalthazar
de Reggio, qui, par déférence [)uur son protecteur
et souverain, signait quelquefois ses
productions : Baldazar estensis (1), en feraient
au besoin foi.
Ce que je désire bien constater ici, c'est
que Léonard de Vinci n'est pour rien dans
l'invention de ce rébus erotique. S'il s'en est
accidentellement occupé, ce n'a été que pour
agencer les détails convenus, avec plus de
grâce, sur le sein naissant de son modèle. Le
soin rigoureux qu'il apportait dans la reproduction
des moindres détails, est, du reste, un
des traits distinctifs de son génie. Le même
esprit, qui embrassait toutes les branches de
la science et de l'art, se complaisait aux obser
vations minutieuses de la botanique; la même
main, qui savait tracer l'ordonnance des con)positions
les plus magistrales, ne dédaignait
pas de combiner de mille façons ces entrelacs
si fort à la mode, vers la lin du xV siècle,
dans le nord de la péninsule, et qu'Albert
Diirer popularisa plus tard en Allemagne, en
s'inspirant des gravures sorties de l'école milanaise.
Ceci établi, permettez-moi, cher monsieur,
une dernière rectification. M. Courajod place,
d'aprè-i VArt de vérifier les dates, celle de la
mort de Béatrix d'Esté au 2 janvier 14"J7. Il
résulte, au contraire, du texte d'une lettre
d'Isabelle, duchesse de Mantoue, sa sœur,
adressée le l^'' janvier 1498 à Louis le More, à
l'occasion de ce décès, qu'il eut lieu à la fin de
décembre 1497. — Béatrix a, par consé(iuent,
vécu vingt-deux ans et six mois, au lieu de
21 ans, 6 mois et quatre jours.
La lettre en question figure au n" 271 du
premier catalogue de vente de mes autographes.
Veuillez agréer, cher monsieur, etc..
Benjamin Fili.on.
La Court de Saiut-Cyr-en-Talmondois,
tobre 1877.
DE PARIS A AMSTERDAM
NOTES DE VOYAGE
(Suite.)
La Haye.
D'Anvers à La Haye, je signalerai dans
le trajet une modification qui, pour n'avoir
pas trait à l'art, touchera cependant tous
ceux qu'intéressent la durée et la facilité
du voyage en Hollande. On a construit un
(1) Le palmier se trouve hroJé sur la liousse
du cheval d'Hercule d'Esté, au revers «le la médaille,
exécutée par Balthazar en li71. Le même
artiste eu modela uue secoude, à peu près identique,
l'année suivante.