chronique des arts et de la curiosité, année 1877 - World eBook ...

et après la Commune, et vous me demandez de
vous redire les souvenirs, les impressions qu'ils
m'ont laissés et aussi les faits qui se rattacheront
plus tard à l'histoire de cette collection,
faits dont il importe d'étahlir la certitude.
Je voudrais être en état de .-atisfaire plus
complètement votre curiosité.
Mais depuis quelques années une ajipréciation
trop franche des fresques de la Magliana achetées
par les ordres deM.Thiers pour le Louvre,
m'avait fait perdre sa hienveillance. .le dus
cesser des visites qui m'eussent permis de vous
fournir aujourd'hui de plus amples dét;;i's. Tou-
tefois ce que Je vous écris ne soulèvera, j'en
suis sur, aucune contradiction.
En 1870, la collection de M. Thicrs se pouvait
diviser en quatre séries :
Les copies, les unes à l'aquarelle d'après l^-s
plus grands maîtres, exécutées pour la plupart
par MM. Bellay et Tourny, les autres en
marbre et en bronze.
Les terres cuites antiques et les ivoii-es, ces
derniers venus d'Espagne et de Eiandre.
Les bronzes originaux presque tous de l;i
grande époque de la Renaissanco italienne.
Les lacjues de Chine.
Tous ces objets, de premier choix.
Dirai-je qu'il s'y glissait cependant parpni
eux quelques intrus, comme, pour ne citer
qu'eux, ces deux groupes d'après les Madones
de Raphaël, et que le possesseur voulait à
toute force attribuer à la main du maître,
sans se permettre un doute^ surtout sans le
permettre aux autres? Mais quel amateur,
moins en droit que M. Thiers, n'a pas comme
lui ses illusions et ses entêtements? A part de
rares exceptions qui, encore, se défendaient
par une véritable valeur d'exécution, tout le
reste défiait la critique.
La collection des bronzes était Vavis rarissinia
de cette galerie, et lorsque à son retour
de sou voyage à Florence, après la guerre,
j'entendais M. Thiers se vanter qu'il possédait
plus et de plus beaux spécimens d l'art des
grands bronziers toscans, on pouvait convenir
avec lui qu'il n'avait qu'à moitié tort, car, si
là-bas, les grandes œuvres, introuvables,
inachetables, comme le David de Donatello,'
ou celui de Verrocchio, ou le Cosme de Benvenuto,
se tenaient au-dessus de toute comparaison,
le musée de la place Saint-(ieorges
égalait presque la fameuse collection italienne
par la beauté, la conservation et le nombre
des petites pièces que son créateur avait su
réunir. Je voudrais pouvoir vous citer tous les
morceaux qui s'alignaient sur les casiers où
M. Thiers enfermait ses livres; mais, à la distance
des années, je craindrais les intidélités
de ma mémoire. D'ailleurs, on ne pouvait pas
faire de longues stations dans ce sanctuaire
d'études où l'illustre écrivain passait la meilleure
partie de ses journées. Avec sa vivacité,
son respect du temps, M. Thiers en avait vite
assez même de ses plus sympathiques visiteurs;
il aimait à frapper sur eux un coup de
surprise. li jouissait en souriant malignement
de l'admiration qu'il provoquait, puis, l'ellet
produit, l'aiDOur-propre satisfait, il ne se
gênait pas beaucoup pour vous reprendre sa
liberté. On ne se serait pas risqué à lui de-
ET DE LA CUIUOSITÉ 307
mander d'écrire quelques remarques de visu.
Aussi la plupart des notices publiées à propos
du cabinet d.- M. Thiers sont-elles vaijues et
laissent-elles |>laner surses ri liesses une sorte
de mystère, lequel plaisait plus peut-être à
son très-lin et trés-déilaigtii'ux prdpriétaire
que le bruit banal (jui se l'ait lro|t suuveiit autour
des plus beaux chefs-d'uiuvre.
Toutefois, lorsqu'on les a vus, ou ne peut
oublier la Vierge en bronze, cire jierdue,
modèle du groupe de larliapelle des .Médiois —
collection Cicognara; la terre cuite, esquisse
de rEnsevelissenient du Christ — collection
duchesse du Beriy - dont le bas-reliel
achevé existe sur une des portes du fameux
tabernacle du Musée de Napies ; les esquisse^
du Verrocchio iiour l'autel d'argent de l'opéra
del Duomo, à l'Ioreiice, la variante du .Mi-rcure
de Jean de Bologne et le bas-ielicf en luonzr
de la Vénus MariiKî |iar un maître dont le nom
restait inconnu même à M. Thiers.
Tout cela se pressait, se coudovail sur l.i
cheminée, sur les tables, sur les meubles en
promiscuité avec de très-beaux è
de l'art chinois et japonais, et quand assailli
de curiosités mal satisfaites, troublé de la
crainte d'être ini|)orlun, pressé de voir et
pressé de se dérober, le visiteur stu'tait aprè.-»
un examen, aussi peu libre, il ne lui restait
presque i)lus de complet que le souvenir de
son èbloui>sement.
Les ivoires appartenaient à un autre ordre
de goût. On s'étonnait di- les trouver dans 'a
vitrine d'un amateur dont les teiidanio
])araissaient ailleurs si exclusives et si peu en
Iiarmonie avec le naturalisme exagéré et la
surabondance de l'art llamand et espagnol.
(Certes le Saint Sébastien et la Bacchanale
n'étaient pas indignes de voisiner Hvec les
austères ligures des maitres ilaliens, et cependant
on se sentait tenté de reprocher à
M. Thiers son essai d'éclectisme. Rubens et
Alonso (iano perdaient trop à se rapprocher
de Michel-Ange et de Donatello.
Autant que je puis me les rappeler, les figu-
rines grecques cousistaient en fragmeiiti,
choisis, il
On les entrevovait ditUcilenieiit sur les.irrière-
])laris d'une vitrine très-encombrée, et quant
aux boites microscopiques venues des rivage>
de l'extrême Orient, vous me pardonnerez
peut-être de n'avoir pas regretté de ne pimvoir
étudier plus longtemps leur étourdissant fini
et leur monotone variété.
Cette collection presque tout entière avait
été formée avant les événements de 1870.
Lorsque U guerrre éclata et a[uès nos premiers
et si décisifs désastres, il était facile de
prévoir d'autres événements dont les conséquences
elfrayaient tout le monde soit tju'on
' st vrai, avec un rare discernemeiil.
les vit venir dt; l'étranger soit qu'on dut lc^
attendr.5 d'ennemis mieux connus et plus redoutatdes
encore. Chacun se précautioiinail;oD
cachait, on euipûitait loin de Paris ce qu'on
avait de plus précieux. In ami d'alors proposa
à M. Thiers de donner chez lui aux plus miportants
objets de sa collection un asile inconnu
et peut-être assuré. Après avoir accefité
d'abord, M. Thiers changea d'idée. On se sépara
et on ne se revit plu*; que bien des moi.*