chronique des arts et de la curiosité, année 1877 - World eBook ...
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L'EXPOSITION DES PEINTRES IMPRESSIONNISTES<br />
Une exposition, dite <strong>de</strong> peinture, vient <strong>de</strong><br />
s'ouvrir rue Le Pel<strong>et</strong>ier ; sans compter le public<br />
parisien, qui ne dédaigne pas <strong>la</strong> gaîté,<br />
c<strong>et</strong>te exhibition a dû faire <strong><strong>de</strong>s</strong> heureux.<br />
Quelle joie <strong>de</strong> n'avoir pas ù s'humilier <strong>de</strong>vant<br />
un jury injuste <strong>et</strong> ignorant, <strong>de</strong> contempler<br />
ses œuvres exposées dans une salle publique,<br />
<strong>et</strong> <strong>de</strong> figurer dans un catalogue !<br />
Sur les écussons qui décorent <strong>la</strong> porte d'entrée,<br />
les exposants ont écrit le mot wifressinrinistes.<br />
Ce terme, je me hâte <strong>de</strong> le dire, n'a<br />
rien <strong>de</strong> choquant par lui-même, mais, à quelques<br />
exceptions près, je déplore l'application<br />
qui en a été faite afin <strong>de</strong> masquer l'amourpropre<br />
déçu <strong>et</strong> <strong>de</strong> déguiser l'ignorance.<br />
Pour tout esprit sage <strong>et</strong> éc<strong>la</strong>iré, l'impressionniste<br />
est l'artiste qui cherche à rendre<br />
l'aspect premier <strong>et</strong> comme instnntané sous<br />
lequel un obj<strong>et</strong> se présente au regard. — La<br />
forme n'est plus qu'une silhou<strong>et</strong>te un peu vague,<br />
les couleurs sont <strong><strong>de</strong>s</strong> taches posées les<br />
unes à côté <strong><strong>de</strong>s</strong> autres, <strong>et</strong> comme fondues dans<br />
une teinte générale ; l'œil semble n'avoir pas<br />
eu le tem])s d'analyser le spectacle qui est <strong>de</strong>vant<br />
lui ; il n'embrasse que l'ensemble, <strong>et</strong><br />
c'est c<strong>et</strong> ensemble qu'on se propose <strong>de</strong> reproduire<br />
dans sa confusion complète. Une<br />
telle recherche, bien évi<strong>de</strong>mment, ne constitue<br />
pas l'art, mais elle ne lui est pas con-<br />
traire.<br />
Si ces principes sont vrais, si c<strong>et</strong>te définition<br />
est exacte, je prétends que <strong>la</strong> majeure<br />
partie <strong><strong>de</strong>s</strong> exposants <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue Le Pel<strong>et</strong>ier a<br />
usurpé le titre d'impressionnistes.<br />
Lst-il impressionniste, par exemple, M. Gaillebotte,<br />
dans sa gran<strong>de</strong> toile intitulée : Rue <strong>de</strong><br />
Paris — Temps <strong>de</strong> pluie ? Les parapluies ouverts<br />
sont tous d'une teinte uniformément<br />
argentée. La pluie ne se fait voir nulle part ;<br />
le peintre n'a pas su rendre c<strong>et</strong>te sorte <strong>de</strong><br />
brouil<strong>la</strong>rd que forment les gouttes en tombant<br />
; par contre, il y a une certaine main<br />
qui donne l'impression d'un <strong><strong>de</strong>s</strong>sin bien pau-<br />
vre. — Il est facile <strong>de</strong> voir en outre que M. Caillebotte<br />
considère <strong>la</strong> composition d'un tableau<br />
comme alt'aire indigne <strong>de</strong> lui: ses personnages<br />
sont groupés au hasard ; le cadre coupe en<br />
<strong>de</strong>ux, <strong>de</strong> <strong>la</strong> tète aux pieds, une figure d'homme<br />
vu <strong>de</strong> dos. — Dans ses Portraits n <strong>la</strong> campagne,<br />
je signale un joli fond éc<strong>la</strong>iré <strong>de</strong> soleil,<br />
certaines notes justes; mais le premier p<strong>la</strong>n<br />
•n'est pas d'aplomb, <strong>et</strong> les robes ne portent<br />
pas sur le sol. Je pas-e sous silence les autres<br />
toiles <strong>de</strong> M. Caillebotte qui toutes sont froi<strong><strong>de</strong>s</strong>,<br />
grises, monotones ! L'éc<strong>la</strong>t manque partout ;<br />
<strong>la</strong> teinte générale <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te peinture est celle <strong>de</strong><br />
l'ardoise.<br />
MM. C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Monn<strong>et</strong> <strong>et</strong> Cézanne, heureux <strong>de</strong><br />
se produire, ont exposé, le premier, trente<br />
toiles, <strong>et</strong> le second quatorze. Il faut les avoir<br />
vues pour imagiuer ce qu'elles sont. Elles provoquent<br />
le rire, <strong>et</strong> sont cependant <strong>la</strong>mentables<br />
: elles dénotent <strong>la</strong> jdus profon<strong>de</strong> ignorance<br />
ET DE LA CURIOSITÉ 147<br />
du <strong><strong>de</strong>s</strong>sin, <strong>de</strong> <strong>la</strong> composition, du coloris. Quand<br />
les enfants s'amusent avec du papier <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />
couleurs ils font mieux. — Je le <strong>de</strong>man<strong>de</strong> encore,<br />
<strong>de</strong> quoi <strong>de</strong> tels barbouil<strong>la</strong>ges préten<strong>de</strong>ntils<br />
donner l'impression, si ce n'est celle <strong>de</strong><br />
rinvraisemb<strong>la</strong>bl(i ?<br />
Malgré l'étrang<strong>et</strong>é <strong>de</strong> sa peinture, M. Renoir<br />
ne doit pas être confondu avec les précé<strong>de</strong>nts.<br />
Son Tableau <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>re S'iiiit-Georges<br />
est d'un <strong>et</strong>f<strong>et</strong> vrai ; mais j'avoue ne pas comprendre<br />
le Hortrait <strong>de</strong> M"" S. La tête si connue<br />
du charmant modèle est comme perdue<br />
sur ce fond rosé d'une coloration brutale, qui<br />
ne perm<strong>et</strong> pas aux chaiis <strong>de</strong> s'épanouir. Les<br />
lèvres <strong>et</strong> le menton présentent <strong><strong>de</strong>s</strong> teintes<br />
bleues que l'artiste s'est vu cnntraint d'employer<br />
pour parvenir à mo<strong>de</strong>ler c<strong>et</strong>te ligure<br />
noyée d'éc<strong>la</strong>t. Quel singulier portrait! Rien,<br />
ce me semble, n'est plus éloigné <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature<br />
vraie ! Dans <strong>la</strong> Ba<strong>la</strong>nçoire <strong>et</strong> le Bal du moulin<br />
d <strong>la</strong> Gal<strong>et</strong>te^ le même .M. Renoir s'est préoccupé<br />
au contraire <strong>de</strong> rendre servilement <strong>la</strong><br />
nature. Au premier coup d'oeil, il e^emble que<br />
ses toiles, pendant le transport <strong>de</strong> son atelier k<br />
<strong>la</strong> salle d'exposition ont éprouvé un acci<strong>de</strong>nt.<br />
Elles sont mouch<strong>et</strong>ées <strong>de</strong> taches ron<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>et</strong><br />
comme tigrées <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce en p<strong>la</strong>ce. En examirtant<br />
bien, on comprend ce qu'a voulu faire<br />
l'auteur : il s'est efforcé <strong>de</strong> rendre l'elf<strong>et</strong> d'un<br />
plein soleil tombant au milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> feuil<strong>la</strong>ges<br />
sur <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages assis sous <strong><strong>de</strong>s</strong> arbres. Ces<br />
taches ron<strong><strong>de</strong>s</strong> ont <strong>la</strong> prétention <strong>de</strong> rendre<br />
1 ombre portée <strong>de</strong> chaque feuille. VoiUï, je<br />
l'avoue, ime tintative vraiment impression<br />
nisie : mais entreprendre une pareille lutte<br />
avec <strong>la</strong> nature n'est-ce pas s'exposer à une<br />
défaite sans excuse <strong>et</strong> sans intérêt, pai'ce qu'elle<br />
sera toujours ridicule "?<br />
.le note quelques bons paysages <strong>de</strong> M. H.<br />
Rourat qu'on est, j'avoue, un peu étonné <strong>de</strong><br />
trouver ici; c<strong>et</strong> arti-te a une soli<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>la</strong>rge<br />
facture, son coloris est franc <strong>et</strong>. vigoureux; sa<br />
p<strong>la</strong>ce est à l'Exposition 'les Champs-Elysée.<br />
Quel dommage que M"*' Bertlie Morisot se<br />
soit égarée parmi les impressionnistes! Les<br />
étu<strong><strong>de</strong>s</strong> premièr-s manquent, 1- <strong><strong>de</strong>s</strong>sin fait<br />
défaut, mais il y a parmi les œuvres exposées<br />
un tact <strong>et</strong> un sentiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> couleur ({ui ne<br />
peuvent se nier. Les b<strong>la</strong>ncs <strong>de</strong> sa Psyché sont<br />
d'une qualité charmante.<br />
M. Pi<strong>et</strong>te n'est pais le premier venu, tant<br />
s'en faut. Son Cirque forai , sa Rue <strong>de</strong> Cluny<br />
sont <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> anmsantes <strong>et</strong> pittores([ues : le<br />
n» {'M\ appelé Jardin est d'un surprenant<br />
éc<strong>la</strong>t; mais combien encore il y a <strong>de</strong> faiblesses<br />
<strong>et</strong> d'erreurs dans ses nombreux envois.<br />
l'imagine que M. Edgar Degas n"est pas un<br />
impressionniste à tous crins, mais je suis sûr<br />
que c'est un homme d'esprit. Il est parfaitement<br />
maître <strong>de</strong> lui-même, <strong>et</strong> soyez convaincu<br />
qu'en venant rue Le Pell<strong>et</strong>ier, il a suivi sa<br />
fantaisie. Ses étu<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> Danseuses témoignent<br />
d'un rare <strong>et</strong> original talent; le <strong><strong>de</strong>s</strong>sin a parfois<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> défail<strong>la</strong>nces, mais comme l'artiste est spirituel<br />
dans <strong>la</strong> note <strong>de</strong> couleur! Ses types <strong>de</strong><br />
Chanteuses <strong>de</strong> café-concert sont d'une réalité<br />
effrayante, mais il faut l'avouer, ils sont pris<br />
sur le vif. On reconnaît ces fronts abrutis, ces<br />
yeux éhontés, ces gestes désarticulés. .le con-<br />
state avec impartialité tout le mérite qa'il