chronique des arts et de la curiosité, année 1877 - World eBook ...

274 LA CHRONIQUE DES ARTS
Là encore nous retrouvions le vieil amour des
Flandres pour la couleur, et tout en nous
écorchant les yeux à ces crudités, nous songions
à ces petits villages perdus dans les dunes,
où les portes et les contrevents sont verts,
les murs en bleu de roi, le carrelage rouge
sang de bœuf, le plafond couleur d'ocre neuve,
avec des effets de palette à déconcei'ter les
peintres.
Place de la Commune et place de Meir, des
architectures en bois et en toile s'échafaudaient
en forme de portiques et d'arcs de
triomphe. La construction de la place de la
Commune, à quelques pas de la gare du chemin
de fer, semble faite pour une jo3'euse entrée,
avec ses larges ouvertures, ses cintres
élevés, son vaste portique du milieu, sa haute
balustrade, .'•es piliers chargés de statues. Au
point culminant, la statue iie Rubens, debout,
tète nue, avec un geste d'accueil, a l'air de
présider à sa gloriticatîon.Sous lui, dans l'épaisseur
des arches, s'alignent les peintres de
son temps, ses émules et ses élèves : VanDyck,
Jordaens, Snyders, Van Thulden et les autres.
Les statues, très-grandes, en plein relief, paraissent
malheureusement un peu lourdes
pour l'échafaudage. L'effet n'en est pas moins
très-réussi, grâce à une rigoureuse peinture
qui joue les marbrures, les ors, les bruns
chauds de la pieiTe rôtie au soleil, avec une
imitation réalist-^ où l'on reconnaît l'école anversoise
d'aujourd'hui. L'arc de la place de
Meir est plus simple, mais de grande allure,
triomphal, avec de larges guirlandes passées
dans des anneaux de cuivre et trois caissons
peints par iMM. Van den Bussche et Neukens.
A'ous avons particulièrement noté la Pref>tation
du sennent de Rubens à la Gilde de Saint-Luc,
dans une gamme blonde et naturelle. Place
Sainte-Walburge, un troisième portique, reproduction
de l'arc de triomphe élevé en 1840,
lors de l'inauguration de la statue de Rubens,
rappelle les portiques Iriomphaux dont le
maître s'est servi pour la composition de ses
arcs de triomphe lors de l'entrée du prince
Ferdinand d'Autriche dans Anvers, en 1635.
On en avait mis du reste partout, au Parc, au
Marché aux chevaux, sur les places, au carrefour
des rues, et cette décoration multiple,
savante, ingénieusement variée, fait le plus
grand honneur à l'initiative artistique de la
vieille cité flamande.
Je dirni succinctement aujourd'hui que les
fêtes ont débuté samedi soir par une cantate
ea l'honneur de Rubens, cantate composée par
M. Pierre Benoît, où les cloches de la cathédrale,
le Carillon et les trompettes thébaines
qu'on avait hissés sur la plate-forme des tours,
ont bourdonné, sonné, posé de graves accords
pittoresques, sorte de bienvenue éclatante
souhaitée à grand orchestre aux « nobles
étrangers » de la ville d'Anvers.
Le lendemain dimanche, ouverture à onze
heures du musée Plantin-Moretus, de l'exposition
d'œuvres d'art anciennes, rue de Vénus,
puis encore de l'exposition des gravures et
photographies d'après les œuvres du maître,
rue des Aveugles : enfin, à une heure, ouverture
du Congrès ariistique.
MM. Meissonier, le vicomte Delaborde, Eug.
Guillaume, Charles Blanc, Cabanel, étaient arrivés
samedi de Paris. C'était M. Delaborde,
avec MM. De Wael, bourgmestre d'Anvers, et
Jean Rousseau, inspecteur des beaux-arts en
Be-lgique et représentant du gouvernement
belge aux fêtes du centenaire, qu'on avait
nommé président d'honneur du Congrès
MM. Meissonier et Guillaume figuraient iiarmi
les vice-présidents d'honneur, avec MM. Springer
pour la Hollande, Reiber pour l'Autriche,
et Wolff pour la Bohème.
L'assernblée était très-nombreuse ; il y avait
environ 250 personnes. Après les speechs de
rigueur, les sections furent constituées et l'on
remit à mardi l'assemblée générale. C'est dans
cette dernière assemblée qu'orateurs et rapporteurs
S8 sont fait entendre sur les différentes
questions soumises au Congrès.
Première question (section de législation) :
Quels sont les moyens légaux propres à assurer
à l'artiste la propriété de ses œuvres ? Le
rapporteur, M. l'avocat Dedyen, a déclaré, au
nom de sa section, que la possession, en règle
générale, n'imtraîne pas le droit de reproduction,
avec cette réserve toutefois, en ce qui
concerne l'Etat, que ce dernier achetant en
vue d'un enseignement public, l'œuwe achetée
par lui tombe dans le domaine public.
M. Vervoort, président du Cercle artistique de
Bruxelles, propose ensuite qu'un projet de loi
soit formulé par les cercles de Bruxelles et
d'Anvers et les corps académiques.
A la seconde question : La signification de
Rubens dans l'art et l'intluence de la démocratie
dans l'art, il y a eu une levée de boucliers.
M. Gaemaere déclare que l'art est le corollaire
du mouvement des sociétés, ce qu'on
sait, M. de Raie fait un cours d'esthétique, ce
dont on n'avait pas besoin, et M. Dognée demande
qu'on popularise l'enseignement des
arts, ce qui est bien, mais ne répond pas à la
question posée.
J'aurai à vous entretenir dans une prochaine
correspondance des délibérations des trois
autres sections, deux de ces sections n'ayant
promis leur rapport que pour mercredi, jour
où j'écris ce courrier.
Camille Lemonmer.
P. -S. — Permettez-moi de vous signaler
quelques publications relatives à Rubens, en
librairie depuis quelques jours seulement :
Piei're-Paul Rubens, documents et lettres, publiés
et annotés par M. Ch. Ruelens, conservateur
des manuscrits çi la Bibliothèque royale
de Bruxelles, travail très-savant où sont relevées
plusieurs erreurs des biographes de Rubens
et qui jette un jour nouveau sur ses
voyages, ses relations, son caractère, ses œu-
vres, les graveurs qu'il employa, etc.
Pierre-faiil Rubens, essai à l'occasion du
trois-centième anniversaire de sa naissance,
par Max Sulzberger. Quelques pages seulement
, mais nerveuses , nourries , substan-
tielles.
Enfin, une publication de luxe éditée par
la maison Muquardt, La Bible de Pierre-Paul
Rubens, sujets de l'Ancien et du Nouveau Tes-
.