Migreurop - Fondation Jean-Jaurès
Migreurop - Fondation Jean-Jaurès
Migreurop - Fondation Jean-Jaurès
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
sonnes ayant besoin d’assistance (demandeurs<br />
d’asile, malades, mineurs), la réalité est venue<br />
donner un écho bien déformé. Le mode opératoire<br />
de l’intervention – largement médiatisée<br />
et caractérisée, comme on va le voir, par<br />
la violence et la tricherie – et ses suites font<br />
clairement apparaître que le « démantèlement<br />
de la jungle de Calais » répondait à d’autres<br />
objectifs que ceux proclamés par le ministre.<br />
Loin de régler les problèmes, l’opération<br />
n’avait, quelques mois plus tard, fait que les<br />
déplacer temporairement, lançant au passage<br />
quelques messages – à l’opinion, au gouvernement<br />
britannique –, et aggraver les conditions<br />
de vie d’une population de migrants de<br />
passage encore plus qu’avant contraints à l’invisibilité<br />
et à la précarité.<br />
II - Les vrais<br />
objectifs du<br />
démantèlement<br />
de la jungle<br />
Déplacer<br />
La maire de Calais, Natacha Bouchart, le<br />
dit sans fard : « Déplacer le problème, ça me va<br />
très bien ! Après tout ce qu’on subit depuis huit<br />
ans ! (…) Au moins, déplacer les problèmes, ça<br />
nous soulagera pendant quelques mois ou quelques<br />
années. Ce ne sera plus chez nous. D’autres<br />
le subiront à leur tour. On n’est pas à vie parqués<br />
à Calais pour accueillir les migrants ! 10 »<br />
On ne saurait mieux exprimer le principal<br />
souci qui anime depuis la n des années 1990<br />
les autorités françaises : rendre invisibles les<br />
migrants qui continuent à rejoindre le nordouest<br />
de la France. C’était déjà dans le but de<br />
les cacher aux regards que le hangar de Sangatte<br />
a été ouvert, quand il fallait éviter qu’ils<br />
n’envahissent de façon trop voyante rues et<br />
parcs de Calais. C’est encore pour cette raison<br />
que, trois ans plus tard, le même hangar a été<br />
10. Metro, 17/09/2009.<br />
fermé, quand l’intérêt croissant des médias<br />
portait un inopportun projecteur sur cette<br />
preuve de l’inecacité de la politique migratoire<br />
de la France. Fermer les yeux pour faire<br />
disparaître un problème qu’on ne sait pas<br />
gérer, voilà ce qui semble tenir lieu de politique<br />
dans le Calaisis. Au risque de se contenter<br />
des apparences. Ce jeune Afghan de 15 ans l’a<br />
bien compris, qui enfourche un vélo pour se<br />
rendre à la distribution de nourriture lorsque<br />
ses compatriotes, à pied, se font pourchasser<br />
par la police en chemin. Il explique : en vélo,<br />
on le prend pour un garçon français revenant<br />
de l’école.<br />
Comme au Moyen-âge avec les indigents,<br />
comme aujourd’hui avec les populations des<br />
« quartiers », la tendance est à la sanctuarisation<br />
des centres urbains par la mise à l’écart<br />
des indésirables, que ceux-ci soient pauvres,<br />
étrangers ou diérents. « Pour eux [les habitants<br />
de Calais], l’essentiel est que les clandestins<br />
n’errent pas dans la ville ou aux abords de l’agglomération.<br />
Pour éviter cela de manière dénitive,<br />
hors les actions de dissuasion et de répression<br />
des forces de l’ordre, je le répète, je ne vois<br />
qu’une solution : que les clandestins ne viennent<br />
pas à Calais 11 ».<br />
Personne n’est dupe de la décision du ministre<br />
de l’immigration et de l’identité nationale<br />
de fermer la « jungle ». Cette opération<br />
de communication à l’adresse de l’opinion<br />
publique est justifiée, selon lui, par la<br />
« remontée très forte de la délinquance dans<br />
<br />
<br />
<br />
clandestines » et de « zones de non droit »<br />
<br />
<br />
d’êtres humains » et par le développement<br />
d’une épidémie de gale. Pourtant, tout porte<br />
à penser que la solution requise ne va faire<br />
que déplacer les problèmes ailleurs, en France<br />
ou en Europe. La « jungle » de Calais n’est<br />
en effet que l’un des nombreux campements<br />
désormais dispersés sur toute la côte, de<br />
Roscoff à Ostende.<br />
Les réfugiés auront tôt fait de se recréer de<br />
nouveaux espaces de circulation et d’attente,<br />
de même qu’avec le renforcement des<br />
11. Discours d’Eric Besson à Calais, ibid.<br />
113