Migreurop - Fondation Jean-Jaurès
Migreurop - Fondation Jean-Jaurès
Migreurop - Fondation Jean-Jaurès
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Témoignages. Je travaillais à Vrahati pour<br />
les vendanges. J’étais payé 15-20 euros pour<br />
14 heures de travail journalier. Marocain,<br />
Igoumenitsa, 01/2010.<br />
À Kasteli c’était très dur, les gens du village<br />
n’aiment pas les migrants. La plupart d’entre<br />
eux nous traitaient comme des animaux. Ils<br />
ont mis feu à nos abris de fortune pendant que<br />
nous dormions, la police regardait et ne faisait<br />
rien. Marocain, Igoumenitsa, 02/2010.<br />
Les refoulements produisent l’errance,<br />
tout comme les réadmissions depuis l’Italie et<br />
les renvois Dublin II. Il s’agit là de personnes<br />
qui avaient une vie ailleurs et ont dû la<br />
quitter, perdant ensuite tout espoir d’avoir<br />
un statut légal. En 2010, la procédure d’asile<br />
est « gelée » en Grèce, puisqu’on est dans une<br />
phase transitoire avant une nouvelle loi sur<br />
l’asile. Les migrants qui veulent déposer leur<br />
demande à Athènes doivent faire la queue au<br />
service de police de Petrou Ralli, sans assurance<br />
d’être reçus le lendemain.<br />
Une autre errance, bien plus visible, vient<br />
des transferts aléatoires d’un centre de détention<br />
à l’autre. Il arrive que les migrants soient<br />
libérés en pleine nature, épuisés par la durée<br />
de leur détention et sans ressources. Cette<br />
nouvelle logique de transferts sert plusieurs<br />
objectifs. Le fait qu’elle s’eectue en plusieurs<br />
temps : retenir-enfermer, refouler-réadmettre,<br />
déshumaniser-épuiser (voire tuer), constitue<br />
un nouveau type d’enfermement « en mouvement<br />
», pourrait-on dire. La détention<br />
devient d’une certaine façon un statut mobile.<br />
Elle amène à des expulsions en cascade<br />
d’une manière qui ne risque pas d’attirer les<br />
critiques de la société civile. Les détenus en<br />
transfert sont moins repérables, leurs traces se<br />
perdent facilement, et une éventuelle déportation<br />
pourra passer inaperçue. Selon nous,<br />
cette logique de transferts est au fondement<br />
des screening centres : on passera d’un système<br />
ocieux de privation de liberté à un système<br />
institutionnalisé, sous prétexte de modernisation<br />
de structures jusqu’alors inexistantes.<br />
Une fois arrêtés, les migrants ne constituent<br />
plus un « problème » pour la ville. Ils<br />
ne sont pas reconnus comme des individus<br />
porteurs de droits, mais comme des masses<br />
indiérenciées d’envahisseurs dont la nationalité<br />
est souvent jugée comme fausse. « Ils<br />
sont tous pareils, on ne peut même pas les<br />
distinguer. Ils s’appellent tous Ali ou Mustafa<br />
», armait un policier à propos de Kurdes<br />
lors d’une rae près du port d’Igoumenitsa<br />
en février 2010. L’expérience la plus déshumanisante<br />
de toutes est celle qui résulte de<br />
la banalisation de la précarité, de la mise en<br />
détention et de la violence, au point que ces<br />
situations sont perçues comme indissociables<br />
de la « qualité » de migrant en situation irrégulière,<br />
demandeur d’asile ou réfugié.<br />
2. En Italie<br />
A Venise, la mort de Zaher<br />
En décembre 2008, Zaher Rezaï avait<br />
quinze ans et voyageait seul vers Venise, caché<br />
sous un camion chargé à Patras sur un ferry.<br />
Il s’était attaché avec sa ceinture entre les<br />
roues et, bien que son ami Rahmat, caché lui<br />
aussi sous le camion, ait été découvert avant<br />
le départ, il était quand même content parce<br />
qu’il avait atteint l’Italie et qu’il ne reverrait<br />
jamais l’enfer du camp de Patras où ils avaient<br />
attendu ensemble pendant des mois. Zaher<br />
Rezaï à été retrouvé mort sur la chaussée de<br />
la via Orlanda à Mestre, à huit kilomètres du<br />
port de Venise. La ceinture s’était cassée. On<br />
a mis longtemps à déterminer son âge, tellement<br />
son corps, écrasé par les roues, était<br />
méconnaissable 21 .<br />
Sa mort a levé le rideau de fumée qui<br />
depuis des années entoure le port de Venise.<br />
Pourquoi un enfant afghan a-t-il été contraint<br />
à voyager dans ces conditions ? Parce qu’il<br />
21. Cf. F. Grisot, « Zaher Rezaï, rêves et espoirs en forme<br />
de poésie », Le grand soir, 24/12/2008, http://www.<br />
legrandsoir.info<br />
95