Les Antilles - Les Classiques des sciences sociales - UQAC
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Eugène Revert, <strong>Les</strong> <strong>Antilles</strong> (1954) 112<br />
contre lesquels de petites îles ne peuvent pas grand'chose. La canne donne plus de<br />
sucre, beaucoup plus de sucre à l'hectare que la betterave. L'alcool qu'on tire de ses<br />
mélasses est un alcool de bouche fort prisé, surtout en hiver. Il suffirait que le<br />
rendement moyen <strong>des</strong> travailleurs fût à peu près la moitié du rendement européen<br />
pour que l'on s'en tire. Je crois indiscutable, après tous les sondages opérés, qu'on<br />
est en <strong>des</strong>sous de ce pourcentage. Je n'y verrais aucun inconvénient si tout le<br />
monde pouvait vivre et bien vivre dans ces conditions. Il me paraît évident, en<br />
effet, qu'on ne peut exiger à la longue, sous les tropiques, le même effort que dans<br />
la Métropole. Je n'ai jamais tenu les premiers colons pour de grands philanthropes<br />
vis-à-vis de leur main-d'œuvre noire. Ce sont eux cependant qui ont établi les<br />
normes de la « tâche » qui correspond au travail qu'un homme moyen peut<br />
accomplir dans sa journée. Elle est égale à quatre ou cinq heures d’occupation<br />
effective et les bons ouvriers arrivent à en faire parfois deux en une journée. J'ai<br />
encore connu le temps où qui le désirait trouvait presque toujours du travail au<br />
moment de la récolte. Dans les conditions actuelles il n'en est plus tout à fait de<br />
même. Or le travailleur occupé sur les plantations a besoin de trois jours de salaire,<br />
et souvent de quatre, pour subvenir d'une manière à peu près satisfaisante aux plus<br />
essentiels de ses besoins. La plupart du temps il possède un petit lopin de terre ou<br />
il lui est concédé un « jardin » qu'il cultive à loisir. Le dimanche il va à la messe,<br />
tout de noir habillé, voit ses amis et boit quelques punchs. Le lundi il se repose ou<br />
bricole autour de sa case. Il rejoint la plantation le mardi…. Le drame d'aujourd'hui<br />
vient de ce que l'augmentation <strong>des</strong> rendements tend à diminuer la superficie <strong>des</strong><br />
surfaces cultivées et que, d'autre part, la mécanisation fait de rapi<strong>des</strong> progrès. Au<strong>des</strong>sous<br />
de trois jours de travail par semaine, le salarié <strong>des</strong> champs ne peut plus<br />
vivre de manière décente et il doit être bien entendu qu'il ne s'agit là que d'un mode<br />
de vie – comment dirai-je ? – très élémentaire. Par-<strong>des</strong>sus le marché, l'alimentation<br />
apparaît souvent mal équilibrée, les seuls pêcheurs en général étant<br />
convenablement nourris. Dans la plupart <strong>des</strong> cas, la place accordée aux farineux<br />
est d'une importance exagérée, tandis qu'il y a carence nette pour les matières<br />
azotées.<br />
Mais il n'y a pas que la canne : que peuvent donner les cultures dites<br />
secondaires et les cultures vivrières ? À l'heure présente, la première place est<br />
occupée par la banane qui a commencé à jouer un rôle important au lendemain de<br />
1930. En 1951 elle couvrait environ 5 000 ha à la Martinique pour une exportation<br />
totale de 74 000 t. Ailleurs, dans la même île, on trouve près de La Trinité en<br />
particulier et du Gros-Morne quelques plantations d'ananas. Des confitureries<br />
exportent encore un peu vers la Métropole. <strong>Les</strong> caféiers et les cacaoyers ne<br />
suffisent absolument plus à la consommation locale. Il ne semble guère possible de<br />
leur redonner leur ancienne importance. Sans doute réussissent-ils bien dans les<br />
sols forestiers nouvellement défrichés. Mais l'érosion a vite fait d'appauvrir ces<br />
derniers et, comme l'a rappelé à diverses reprises M. Kervégant, les plantes qui ne<br />
trouvent pas le milieu favorable à une végétation vigoureuse se voient rapidement<br />
attaquer par les parasites et dépérissent.