Les Antilles - Les Classiques des sciences sociales - UQAC
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Eugène Revert, <strong>Les</strong> <strong>Antilles</strong> (1954) 42<br />
maintenant exercé par un président de la République élu tous les cinq ans. Le<br />
généralissime Rafael Trujillo Molina vient de terminer son quatrième terme<br />
présidentiel, et a été remplacé par son frère.<br />
Deux faits sont aussitôt à souligner au point de vue humain. Le français est la<br />
langue de la République Haïtienne, l'espagnol celle de la République Dominicaine.<br />
Ainsi se prolongent dans le présent les vicissitu<strong>des</strong> de l'histoire antérieure. D'autre<br />
part, Haïti est avant tout un État noir. La République Dominicaine a depuis<br />
longtemps manifesté au contraire qu'elle entendait devenir un État de moins en<br />
moins coloré. En 1937 même, 5 000 paysans haïtiens établis sans autorisation sur<br />
les terres de Saint-Domingue se virent massacrer à la suite du discours quelque peu<br />
virulent qu'avait prononcé le président Trujillo lors d'un banquet offert à ses<br />
officiers. La guerre fut évitée de justesse et parce qu'évidemment les États-Unis ne<br />
voulaient pas en entendre parler : Saint-Domingue même fut obligé de verser une<br />
indemnité de 700 000 dollars à Haïti. Mais en vue de stopper de nouvelles<br />
infiltrations le président Trujillo poussa de toutes ses forces au développement de<br />
ce qu'on appelle les colonies limitrophes d'utilité publique, qui doivent en principe<br />
occuper tout le long de la frontière une bande de 10 km de largeur moyenne et où,<br />
les pionniers qui s'installent deviennent sans aucun délai propriétaires de leur lot.<br />
Sans doute <strong>des</strong> accommodements sont-ils intervenus au cours <strong>des</strong> derniers mois.<br />
Le président Trujillo a fait d'incontestables avances aux Haïtiens. Il est même venu<br />
à Port-au-Prince. Je ne suis pas très certain cependant que l'opinion haïtienne ait<br />
une infinie confiance dans ces démonstrations. Je sais en tout cas, par expérience,<br />
que la vue d'une automobile officielle à la frontière, avec chauffeur arborant<br />
cocarde, une fois passé le dernier poste, produit un effet immédiat sur les paysans<br />
qui s'enfuient aussitôt en abandonnant leurs paquets. Ils ne tiennent pas à être<br />
réquisitionnés pour un temps plus ou moins long de l'autre côté de la frontière,<br />
comme je me suis laissé raconter qu'il était parfois arrivé, en <strong>des</strong> temps fort<br />
anciens évidemment.<br />
D'autre part, et c'est un héritage encore visible du passé, la frontière se devine<br />
assez bien d'avion. Du côté haïtien, surpeuplé, <strong>des</strong> sentiers et <strong>des</strong> cases partout. De<br />
l'autre, malgré l'effort de colonisation récent, une longue ligne de bois,<br />
interrompue çà et là. En fait, pour toute la République Dominicaine, il n'y a pas<br />
encore 25 p. 100 du sol qui soit cultivé et le programme actuellement en cours<br />
d'exécution voudrait porter cette proportion aux alentours de 45 p. 100.<br />
À cette fin, et à d'autres aussi, on encourage l'immigration blanche. La guerre,<br />
ou plus exactement l'après-guerre, a offert de larges possibilités à cet égard et<br />
l'Europe centrale a fourni de nombreux carpet baggers qu'en tout bien tout<br />
honneur on a mariés et bien mariés sur place. On peut admettre que dans un temps<br />
qui ne sera pas très long Saint-Domingue sera devenu une république blanche au<br />
même titre que Cuba. Ce n'est encore pour l'instant qu'un État mulâtre qui<br />
s'éclaircit de jour en jour et qui tient à défendre sa place au soleil tropical par<br />
l'étalage d'un puissant appareil militaire. Je ne connais rien de plus curieux qu'une