revue finissante - Les âmes d'Atala
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Ian Geay<br />
marquant son front du signe de l’infamie. La femme n’a pas d’autre<br />
voie, pour se détourner textuellement du rôle maternel dans lequel on<br />
tente de l’enfermer, que de céder à la succion vampirique, c’est-à-dire<br />
de pratiquer une fellation.<br />
Pour mieux saisir la dualité de cette posture amoureuse, il convient<br />
de se rapporter au Manuel d’érotologie classique de Friedrich-Karl<br />
Forberg dans lequel l’auteur consacre le troisième de ses huit chapitres<br />
à « l’irrumation ». Il y reprend une distinction que l’on retrouve par<br />
ailleurs chez Varron, Martial, Suétone, ou Lactance entre lesbianiser<br />
(c’est-à-dire irrumer, pénétrer, ou sodomiser) et phénicianiser (c’est-àdire<br />
se laisser pénétrer dans la bouche ou être sodomisé/e) :<br />
Mettre dans la bouche le membre en érection s’appelle irrumer,<br />
verbe qui au sens propre signifi e donner le sein ; en effet, chez<br />
les Anciens, le sein se disait ruma. La verge, introduite dans la<br />
bouche, veut être chatouillée soit des lèvres, soit de la langue, et<br />
sucée ; quiconque lui prête cet offi ce est un fellateur, car il suce<br />
et, pour les Anciens, fellare est la même chose que sucer.<br />
<strong>Les</strong> lesbiens passent pour les inventeurs de cette impureté<br />
particulière. C’est de là que les Grecs appliquèrent l’expression<br />
« lesbianiser » ou « lesbiser » à ceux qui imitaient les habitudes<br />
des <strong>Les</strong>biens, soit comme irrumateurs, soit comme fellateurs.<br />
On joint d’ordinaire lesbianiser et phénicianiser, comme si cette<br />
pratique était aussi habituelle aux Phéniciens 5 .<br />
Rappelons la différence primordiale faite dans l’Antiquité non pas<br />
entre les sexes, mais entre l’Actif et le Passif, et la discrimination qui en<br />
résulte à l’égard de ceux/celles qui se soumettent, c’est-à-dire de ceux<br />
ou celles qui phénicianisent. Pascal Quignard, dans Le sexe et l’effroi<br />
reprend cette condamnation portée par Galien, au IIème siècle, au sujet<br />
de la fellation, opposée à l’irrumation :<br />
<strong>Les</strong> mœurs romaines sont strictes : la sodomie et l’irrumation<br />
sont vertueuses ; la fellation et la passivité anale sont inf<strong>âmes</strong>.<br />
Pedicare, c’était sodomiser l’anus. Irrumare, c’était sodomiser<br />
la bouche. La fellation est un mot moderne qui en dit long sur la<br />
société qui l’a élu. Fellare, c’est à dire sucer spontanément, est<br />
incompréhensible pour un Romain. On ne peut qu’activement<br />
irrumarer le congénère, c’est à dire le contraindre à recevoir<br />
dans la bouche le fascinus, le contraindre à le lécher et à le<br />
mordiller jusqu’à ce qu’il en recueille la sève 6 .<br />
Dans Dracula, il s’agit donc d’irrumation. Le viol commis sur<br />
Mina ne jette que partiellement l’opprobre sur la femme qui peut<br />
racheter sa faute en réintégrant son rôle de femme soumise et en<br />
renonçant à l’émancipation de son sexe. Le viol vampirique ne serait<br />
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