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revue finissante - Les âmes d'Atala

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Jean Richepin<br />

- Mais elle crève les yeux ! Mais il ne saurait pas<br />

en être autrement. Songe donc au renfermé de la<br />

vie en province, à toutes les précautions qu’il y faut<br />

prendre contre une curiosité toujours menaçante, à la<br />

culture secrète et intensive qu’y acquiert la passion, au<br />

gras fumier d’hypocrisie dont s’y nourrit le vice.<br />

- Gare ! la rhétorique te guette à<br />

ton tour. Ce sont là des phrases.<br />

- Ah ! Monsieur veut des faits ! Monsieur se documente<br />

sans doute, histoire de ne pas perdre son temps en<br />

province ! Il te faut une fl eur, une grenouille, de ma<br />

pauvre mare ! A l’occasion, tu ne serais pas fâché d’avoir<br />

trouvé ici quelque sujet de roman, de nouvelle. Eh bien,<br />

je vais t’en donner un, tiens ! Moi, j’y ai rêvé souvent.<br />

Si j’étais romancier, au reste, je n’oserais pas l’écrire.<br />

Mais toi, un Parisien, tu oseras peut-être. Attention ! Te<br />

rappelles-tu les sœurs Moche ?<br />

Certes, je me les rappelais. Comment aurais-je pu les<br />

oublier ? Elles m’avaient fait tellement peur, quand j’étais<br />

petit ! Et, plus tard, quand j’avais commencé à regarder<br />

les choses et les gens en essayant d’y comprendre quelque<br />

chose, elles m’avaient paru d’abord si étranges d’aspect,<br />

puis si spécialement symboliques dans leur étrangeté !<br />

Au temps de mon enfance, quand j’allais à l’école dans<br />

cette petite ville, les sœurs Moche étaient déjà deux<br />

vieilles femmes, ou, du moins, me semblaient telles,<br />

quoiqu’elles n’eussent pas alors plus d’une cinquantaine<br />

d’années environ. Mais elles étaient si maigres, si ridées,<br />

si ratatinées, qu’elles me faisaient l’effet de deux antiques<br />

sorcières.<br />

Toujours ensemble, toujours vêtues de noir, trottinant<br />

d’un pas furtif, furetant partout du regard avec leurs petits<br />

yeux de souris, elles étaient la terreur de la marmaille<br />

à cause de leur grosse voix et à cause d’une petite<br />

moustache grisonnante qui leur ombrait la commissure<br />

des lèvres. Elles se plaisaient à inspirer cette terreur,<br />

vraisemblablement ; car, lorsque des marmots passaient<br />

près d’elles, elles rognonnaient en haussant le verbe,<br />

dardaient leurs regards en vrille, et brochaient des babines<br />

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