Jean Richepin étrangeté et tout son symbole. Et je dis à mon ami ce que j’en savais et ce que je croyais en avoir deviné. - Bon ! s’écria-t-il, tu n’en avais rien deviné du tout, et tu n’en sais pas chipette. Quant au roman que tu en voulais faire, il n’eût pas valu le leur, le vrai, que je vais te révéler, en substance. D’abord, apprends que les sœurs Moche sont mortes, à l’âge de quatre-vingt-douze ans, par double suicide. - A quatre-vingt-douze ans ! - Oui. Un suicide au charbon ! Comme des grisettes, quoi ! - Ces vieilles dévotes ! - Oh ! pas plus dévotes que toi et moi. - Comment ! Leur dévotion... - Comédie ! Ainsi que leur vie entière, au reste. Et quelle comédie jouée en perfection ! Dire que, moi, curieux d’elles, les épiant, les trouvant mystérieuses, voulant en avoir le secret, j’ai vécu plus d’un demi-siècle à côté d’elles, dans la même petite ville, sans pouvoir me douter de rien, sans soupçonner... Ah ! quelle merveille ! Et tu ne veux pas que j’adore la province !... Il m’avait pris par le bras, m’avait mis mon chapeau sur la tête, s’était coiffé du sien, m’entraînait à grands pas par les rues, en me disant : - Oui, j’y ai rêvé des fois, à leur roman. Et, je t’en réponds, celui-là encore moins que l’autre, tu l’écriras, tout Parisien que tu es. Et cependant, quel livre admirable, prodigieux, unique cela ferait. Tu verras ! - Mais où me conduis-tu ainsi ? - Au cimetière, où est leur tombeau, tel que l’ont voulu ces deux êtres. Leur testament léguait une fortune à l’hospice, sous la condition de leur élever ce tombeau, avec l’inscription que tu vas lire. Nous étions au cimetière, devant le tombeau, sur lequel je lus : «Ici reposent, après soixante-dix ans d’une union parfaite, Jules et Fernand, dits les sœurs Moche.» 72
Le e thème du prochain numéro d’ : Amer La domesticité Toutes vos contributions (articles, textes, photos, dessins) sont à envoyer avant le 15 février 2007 à l’adresse suivante : zamdatala@hotmail.com 73