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revue finissante - Les âmes d'Atala

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L’enfant<br />

J’allai la voir plusieurs fois. Elle devenait folle. L’idée de<br />

cet enfant grandissant dans son ventre, de cette honte<br />

vivante lui était entrée dans l’âme comme une fl èche<br />

aiguë. Elle y pensait sans repos, n’osait plus sortir le jour,<br />

ni voir personne de peur qu’on ne découvrit son<br />

abominable secret. Chaque soir elle se dévêtait devant son<br />

armoire à glace et regardait son fl anc déformé ; puis elle<br />

se jetait par terre, une serviette dans la bouche pour<br />

étouffer ses cris. Vingt fois par nuit elle se relevait,<br />

allumait sa bougie et retournait devant le large miroir qui<br />

lui renvoyait l’image bosselée de son corps nu. Alors,<br />

éperdue, elle se frappait le ventre à coups de poing pour le<br />

tuer, cet être qui la perdait. C’était entre eux une lutte<br />

terrible. Mais il ne mourait pas ; et sans cesse, il s’agitait<br />

comme s’il se fût défendu. Elle se roulait sur le parquet<br />

pour l’écraser contre terre ; elle essaya de dormir avec un<br />

poids sur le corps pour l’étouffer. Elle le haïssait comme<br />

on hait l’ennemi acharné qui menace votre vie.<br />

Après ces luttes inutiles, ces impuissants efforts pour se<br />

débarrasser de lui, elle se sauvait par les champs, courant<br />

éperdument, folle de malheur et d’épouvante.<br />

On la ramassa un matin, les pieds dans un ruisseau, les<br />

yeux égarés ; on crut qu’elle avait un accès de délire, mais<br />

on ne s’aperçut de rien.<br />

Une idée fi xe la tenait. Ôter de son corps cet enfant<br />

maudit.<br />

Or sa mère, un soir, lui dit en riant : «Comme tu engraisses,<br />

Hélène ; si tu étais mariée, je te croirais enceinte.»<br />

Elle dut recevoir un coup mortel de ces paroles. Elle partit<br />

presque aussitôt et rentra chez elle.<br />

Que fi t-elle ? Sans doute encore elle regarda longtemps<br />

son ventre enfl é ; sans doute, elle le frappa, le meurtrit, le<br />

heurta aux angles des meubles comme elle faisait chaque<br />

soir. Puis elle descendit, nu-pieds, à la cuisine, ouvrit<br />

l’armoire et prit le grand couteau qui sert à couper les<br />

viandes. Elle remonta, alluma quatre bougies et s’assit,<br />

sur une chaise d’osier tressé, devant sa glace.<br />

Alors, exaspérée de haine contre cet embryon inconnu et<br />

redoutable, le voulant arracher et tuer enfi n, le voulant<br />

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