revue finissante - Les âmes d'Atala
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Irrumations fin-de-siècle<br />
que sont le cœur, la tête et le cerveau, d’autre part. La forme et le contenu.<br />
Le signe et le sens. Dans l’optique de la décollation, l’issue de la bataille<br />
est sans équivoque : le chef est séparé de sa base. La fellation, elle, est<br />
duale et demeure ambiguë non pas seulement dans l’opposition qu’elle<br />
offre entre le matérialisme et l’idéalisme, mais dans le mouvement<br />
qu’elle opère entre le haut et le bas. Sur l’axe de la verticalité, les<br />
deux corps en lutte s’affrontent sur un territoire aux zones frontalières<br />
parfaitement délimitées : la partie haute qui est celle de la cérébralité et<br />
la partie basse dévolue au sexe. La fellation s’accompagne d’un double<br />
trajet qui rend le geste ambigu. La personne qui opère s’enfonce vers<br />
le bas, cette zone du ventre dévolue aux organes génitaux qui nous<br />
maintiennent au sol. Celui qui reçoit la caresse – l’opéré- épouse quant<br />
à lui un mouvement ascendant qui le tire des soubassements du concret<br />
vers les sphères supérieures de l’idéalité. Entre chute et élévation, le<br />
dispositif spatial que met en place la fellation partage le monde entre ce<br />
trou noir qu’est la vulve ou la bouche, c’est-à-dire le néant ou la fange,<br />
et les sphères spirituelles ou cosmiques réservées aux hommes, le ciel.<br />
Descente et ascension permettent ainsi un partage moral des corps entre<br />
l’actif et le passif.<br />
Certains cèdent à l’extase quasi liturgique de la jouissance physique<br />
dont le revers n’est autre que la décollation : ils perdent littéralement<br />
la tête, ce qui annonce leur chute. Ils sont saisis par ce que d’aucuns<br />
appellent la « petite mort » 17 . La matière, autrement dit le corps, entraîne<br />
l’être tout entier, « comme l’éloquence roule et gronde en se grisant<br />
d’elle-même 18 ». La fi èvre germinative dont parle Jankélévitch est une<br />
fi èvre sexuelle. Le ciseau du sculpteur, son sexe ; la pierre, la chair ;<br />
l’opération démiurgique, le viol. C’est l’être abandonné à ses désirs ; les<br />
sens contre le sens 19 .<br />
D’autres résistent au vertige de la chair en maîtrisant le fl ot du désir,<br />
à la seule force de l’esprit qu’ils parviennent, par ailleurs, à dissocier du<br />
corps 20 . Mais cette opération comporte des risques analogues à l’abandon<br />
de l’individu aux forces dissolvantes de la chair. Le duc de Fréneuse<br />
dans Monsieur de Phocas regrette ainsi d’avoir trop intellectualisé le<br />
sexe, car il n’y a pas, selon lui, de volupté savante. Il n’a donc pas subi<br />
la décapitation, mais la castration d’un plaisir jamais atteint, emprisonné<br />
qu’il fut dans les méandres du sexe médiatisé.<br />
<strong>Les</strong> raffi nements et les recherches du rare conduisent fatalement<br />
à la décomposition et au Néant 21 .<br />
Cette nouvelle manifestation de la disjonction conduit à la<br />
monstruosité des « têtes sans corps » telle que l’a défi nie Jankélévitch.<br />
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