Nouvelle
<strong>Les</strong> sœurs Moche Jean Richepin - Pourquoi je ne suis pas resté à Paris ? Pourquoi je n’ai pas cherché, comme les autres camarades de la bande, à y faire mon trou ? Parce que j’ai senti que, dans ce trou, je m’y enterrerais. Parce que je me suis aperçu, un beau jour, que j’avais et que j’aurais de plus en plus Paris en horreur, à cause de son écœurante et annihilante banalité. - Tu dis ? - Je dis qu’à Paris tout le monde se ressemble. - Tandis qu’en Province... - Va, va, blague la province ! Remâche un de vos vieux clichés, Parisien nourri d’idées toutes faites ! Dis-moi que la province est une mare et que Paris est une mer, que dans la mare on croupit, et que sur la mer on navigue, on se bat, on découvre des Amériques, et patati et patata ! Mais moi aussi, je peux rhétoriquer, si je veux. Je te répondrai que dans la mare il y a des fl eurs, des grenouilles, et bien d’autres choses encore, que vous ignorez. Et puis, dans ta mer si tempétueuse, jettes-y donc des silex, même des diamants ! Avec son fl ux et son refl ux, elle en fera des galets, voilà ! Mais assez de rhétorique ! Et zut pour ton Paris ! - Allons, tu es toujours le même original. - Et je ne suis pas le seul ici, heureusement. C’est bien pourquoi je m’y plais. Sais-tu qu’ici, dans ma pauvre mare, il existe au moins une douzaine de cerveaux pensant par eux-mêmes, ayant des idées à eux, raisonnables ou extravagantes, mais à eux ? Pourrais-tu m’en citer autant à Paris, voyons ? - Le paradoxe est amusant. - Mais ce n’est pas un paradoxe. C’est une vérité, que diable ! Et je n’en ai pas l’étrenne, d’ailleurs. Balzac, que tu aimes, et qui s’y connaissait, je crois, en caractères, a dit quelque part : «Il n’y a d’originaux qu’en province». Ah ! - Balzac avait peut-être raison, somme toute, et la chose, à la réfl exion, peut se soutenir.