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revue finissante - Les âmes d'Atala

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<strong>Les</strong> Sans-gueule<br />

qui le regardait en dessous : «Eh ben ! - quoi ! - emporteles,<br />

tes Sans-Gueule, tu les reconnaîtras à l’essai !»<br />

Elle fut d’abord scandalisée, et détourna la tête, avec une<br />

rougeur d’enfant honteuse ; puis elle baissa les yeux,<br />

et regarda de l’un à l’autre lit. <strong>Les</strong> deux coupes rouges<br />

couturées reposaient toujours sur les oreillers, avec cette<br />

même absence de signifi cation qui en faisait une double<br />

énigme. Elle se pencha vers eux ; elle parla à l’oreille de<br />

l’un, puis de l’autre. <strong>Les</strong> têtes n’eurent aucune réaction, -<br />

mais les quatre mains éprouvèrent une sorte de vibration,<br />

- sans doute parce que ces deux pauvres corps sans<br />

âme sentaient vaguement qu’il y avait près d’eux une<br />

petite femme très gentille, avec une odeur très douce et<br />

d’absurdes manières exquises de bébé.<br />

Elle hésita encore pendant quelque temps, et fi nit par<br />

demander qu’on voulût bien lui confi er les deux Sans-<br />

Gueule pendant un mois. On les porta dans une grande<br />

voiture rembourrée, toujours l’un à côté de l’autre ; la<br />

petite femme, assise en face, pleurait sans cesse à chaudes<br />

larmes.<br />

Et quand ils arrivèrent dans la maison, une vie étrange<br />

commença pour eux trois. Elle allait éternellement de l’un<br />

à l’autre, épiant une indication, attendant un signe. Elle<br />

guettait ces surfaces rouges qui ne bougeraient jamais<br />

plus. Elle regardait avec anxiété ces énormes cicatrices<br />

dont elle distinguait graduellement les coutures comme<br />

on connaît les traits des visages aimés. Elle les examinait<br />

tour à tour, ainsi que l’on considère les épreuves d’une<br />

photographie, sans se décider à choisir.<br />

Et peu à peu la forte peine qui lui serrait le cœur, au<br />

commencement, quand elle pensait à son mari perdu,<br />

fi nit par se fondre dans un calme irrésolu. Elle vécut à la<br />

façon d’une personne qui a renoncé à tout, mais qui vit<br />

par habitude. <strong>Les</strong> deux moitiés brisées qui représentaient<br />

l’être chéri, ne se réunirent jamais dans son affection ;<br />

mais ses pensées allaient régulièrement de l’un à l’autre,<br />

comme si son âme eût oscillé en manière de balancier.<br />

Elle les regardait tous deux comme ses «mannequins<br />

rouges», et ce furent les poupées falotes qui peuplèrent<br />

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