revue finissante - Les âmes d'Atala
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Byzance copronyme<br />
rendu les choses si diffi ciles :<br />
En ce moment je suis moulu, mais bien. Je vais acheter<br />
immédiatement de la graine de lin Tarin et me faire un paquet<br />
de séné et de pensée sauvage que je prendrai le soir. Tâche<br />
de voir Mulhene et explique mon cas : c'est bien moins de la<br />
constipation qu'une restriction et qu'une obstruction du rectum :<br />
ça se serre et plus rien ne passe 59 .<br />
Quand dans le cas de l'accouchement c'est le bassin de la femme qui<br />
est trop étroit, on est alors contraint de recourir à une césarienne. Et Jean<br />
Lorrain aura de son côté été plus d'une fois accouché par le scalpel de<br />
ses intestins ulcérés. De sorte que dans un terrible mélange de haine et<br />
d'amour, d'adoration et d'abjection, il ne devient ici la mère que pour<br />
mettre au monde les déchets de ses entrailles et sa propre corruption.<br />
Dans ces conditions l'écriture elle-même, avec bientôt tout son fl ot<br />
d'immondices et d'horreurs, ne pourra qu'être maternité. Voyez, en juin<br />
1882, cette étonnante dédicace à la mère sur Le Sang des Dieux, le tout<br />
premier de ses ouvrages :<br />
À toi, ma très douce et patiente mère, à toi, à qui est échue cette<br />
croix, lourde entre toutes, d'avoir pour fi ls un être insupportable<br />
entre tous, fou pour les uns, idiot pour les autres, fantasque pour<br />
tous... puisqu'on veut bien m'appeler poète!... Ces vers sont<br />
encore plus tes enfants que les miens puisque tu es leur aïeule.<br />
À toi donc, ce premier enfant de ton sang et du mien, et puisséje,<br />
un jour à venir, te faire oublier tous les mauvais mois et les<br />
dures années que t'ont faits et ma cervelle fantasque et les cruels<br />
instincts de tout être qui écrit.<br />
Alors s'il est physiologiquement vrai que pour Lorrain un livre vient au<br />
jour comme naît un enfant, sans doute que, plus globalement, toute son<br />
oeuvre aura imaginairement été un long accouchement anal de tous les<br />
pus et de toutes les sanies de la société de son temps.<br />
Notes<br />
1 Le Poison de la Riviera, La Table Ronde, 1992, p.31.<br />
131<br />
Alain Buisine<br />
2 Jean Lorrain, Lorrain Lettres à ma mère (1864-1906)<br />
, Paris, 1926, Editions Excelsior,<br />
p.15.<br />
3 Edmond et Jules de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire, 1895-<br />
1896, <strong>Les</strong> Editions de l’Imprimerie Nationale de Monaco, 1958, tome XXI,<br />
p.80.