revue finissante - Les âmes d'Atala
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Irrumations fin-de-siècle<br />
dans un roman fi n-de-siècle. Mozarina Campéador Cantès, celle que<br />
Monsieur de Bougrelon compare à un portrait de Luini , nous rappelle<br />
pourquoi :<br />
Une Hérodiade sûrement, car elle portait et avec quel geste !<br />
une tête sanglante sur un plat vermeil (…) Cette hérodiade avait<br />
un arc de sourcil et un arc de bouche, les sourcils si noirs et la<br />
bouche si royalement fardée, que le coup de foudre était triple.<br />
Ah ! ces trois arcs tendus ! Cupidon était embusqué derrière<br />
chacun d’eux et c’était la triple détente, la triple atteinte aussi,<br />
au cerveau d’abord, droit au cœur ensuite, et le dernier… vous<br />
savez bien où. La terrible femme (…) 33 .<br />
La catachrèse est lourde d’implications. Evoquer Hérodiade autour<br />
de 1900, c’est évidemment associer la décapitation à la castration, celle<br />
qui menace l’homme subjugué par la danse funeste. Il convient dès<br />
lors d’exorciser cette peur de la réductrice de tête soit en inversant le<br />
mythe, c’est-à-dire en tranchant le cou des femmes, comme ces deux<br />
escarpes au sortir d’un bal (« Tout d’un coup, un des voyous précipitait<br />
la femme, la face contre le sol, et, s’agenouillant sur elle, lui sciait<br />
le cou avec un coutelas…, le sang giclait, éclaboussant (…), la frêle<br />
nuque d’or34 »), soit en obligeant la femme à se taire, c’est-à-dire en la<br />
forçant à l’irrumation, une autre inversion du mythe si l’on considère<br />
la décapitation de Saint Antoine comme une tentative réussie de faire<br />
taire l’impétueux prédicateur. Soit enfi n en la violant. C’est le cas de<br />
cette espagnole qui porte au cou quinze rubis en souvenir des quinze<br />
émeutiers qui l’ont violée lors de la prise de Puebla. Monsieur de<br />
Bougrelon fait le récit de ce drame après avoir pris soin de comparer<br />
la victime au portrait d’une Hérodiade, apportant un motif idéal au<br />
châtiment qu’il décrit complaisamment :<br />
A la prise de Puebla, elle avait subi les horreurs du viol, un viol<br />
atroce, messieurs : vingt chefs d’insurgés s’étaient disputé à<br />
coups de pistolet la sauvage volupté de la posséder le premier ;<br />
ils déchargèrent deux cents balles, cinq de ces forcenés périrent,<br />
et cette femme infortunée subit le choc des quinze autres,<br />
fumants de rut et de carnage, et cela renversée sur les cinq<br />
cadavres encore tièdes, et elle n’en mourut point, messieurs !<br />
mais elle fi t vœu de chasteté35 .<br />
Pour ceux et celles qui douteraient encore de la culpabilité de cette<br />
espagnole, Lorrain prend soin de soulever le corsage de la jeune femme<br />
qui cache, tatouée sur son sein gauche, la tête de son défunt mari. Cette<br />
Salomé porte inscrit en elle le stigmate de sa race, et elle le paye d’un<br />
viol effroyable. Le texte dit d’ailleurs distinctement qu’elle « torturait<br />
son corps en expiation 36 » !<br />
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