revue finissante - Les âmes d'Atala
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Guy de Maupassant<br />
des plaies, se leva, et, d’une voix forte : «Vous parlez,<br />
madame, de choses que vous ignorez, n’ayant point connu<br />
les invincibles passions. Laissez-moi vous dire une<br />
aventure récente dont je fut témoin ».<br />
Oh ! madame, soyez toujours indulgente, et bonne, et<br />
miséricordieuse ; vous ne savez pas ! Malheur à ceux à<br />
qui la perfi de nature a donné des sens inapaisables ! <strong>Les</strong><br />
gens calmes, nés sans instincts violents, vivent honnêtes,<br />
par nécessité. Le devoir est facile à ceux que ne torturent<br />
jamais les désirs enragés. Je vois des petites bourgeoises<br />
au sang froid, aux moeurs rigides, d’un esprit moyen et<br />
d’un coeur rnodéré, pousser des cris d’indignation quand<br />
elles apprennent les fautes des femmes tombées.<br />
Ah ! vous dormez tranquille dans un lit pacifi que que ne<br />
hantent point les rêves éperdus. Ceux qui vous entourent<br />
sont comme vous, préservés par la sagesse instinctive de<br />
leurs sens. Vous luttez à peine contre des apparences<br />
d’entraînement. Seul, votre esprit suit parfois des pensées<br />
malsaines, sans que tout votre corps se soulève rien qu’à<br />
l’effl eurement de l’idée tentatrice.<br />
Mais chez ceux-là que le hasard a faits passionnés,<br />
madame, les sens sont invincibles. Pouvez-vous arrêter le<br />
vent, pouvez-vous arrêter la mer démontée ? Pouvez-vous<br />
entraver les forces de la nature ? Non. <strong>Les</strong> sens aussi sont<br />
des forces de la nature, invincibles comme la mer et le<br />
vent. Ils soulèvent et entraînent l’homme et le jettent à la<br />
volupté sans qu’il puisse résister à la véhémence de son<br />
désir. <strong>Les</strong> femmes irréprochables sont les femmes sans<br />
tempérament. Elles sont nombreuses. Je ne leur sais pas<br />
gré de leur vertu, car elles n’ont pas à lutter. Mais Jamais,<br />
entendez-vous, jamais une Messaline, une Catherine ne<br />
sera sage. Elle ne le peut pas. Elle est créée pour la caresse<br />
furieuse ! Ses organes ne ressemblent point aux vôtres, sa<br />
chair est différente, plus vibrante, plus affolée au moindre<br />
contact d’une autre chair ; et ses nerfs travaillent, la<br />
bouleversent et la domptent alors que les vôtres n’ont rien<br />
ressenti. Essayez donc de nourrir un épervier avec les<br />
petits grains ronds que vous donnez au perroquet ! Ce sont<br />
deux oiseaux pourtant qui ont un gros bec crochu. Mais<br />
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