revue finissante - Les âmes d'Atala
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Pornogramme<br />
Ian Geay<br />
Nous décelons, dans les instincts meurtriers qui assaillent le<br />
duc de Fréneuse, « la violence exaspérée, la violence désespérée<br />
de l’érotisme 37 » dont Bataille parle dans <strong>Les</strong> Larmes d’Eros. De<br />
Fréneuse refait l’expérience érotique de cette attirance morbide pour la<br />
décollation au cours d’un rêve qui met en scène un épisode fantasmé de<br />
la Révolution française :<br />
Des bras nus agitent des piques et, avec un grand cri, je vois<br />
monter dans le ciel de plomb une tête coupée, une tête exsangue<br />
aux yeux éteints et fi xes (…). C’est une tête de femme. Des<br />
hommes ivres se la passent de main en main, la baisent aux<br />
lèvres et la souffl ettent. 38<br />
L’érotisme de cette scène, qui le charme d’horreur, est d’autant plus<br />
scandaleux pour de Fréneuse lui-même qu’il s’agit de la Révolution<br />
française qu’en bon aristocrate, il exècre. Il se trouve, dirait Bataille,<br />
devant « l’horrible accord de l’érotisme et du sadisme 39 », puisque c’est<br />
la décapitation d’une femme qui le terrifi e, le glace d’effroi et l’excite<br />
tout à la fois.<br />
L’érotisation de l’amputation, et plus particulièrement de la<br />
décapitation 40 , abonde dans l’œuvre de Lorrain. Welcôme, l’un des<br />
personnages de Monsieur de Phocas est hanté par les têtes coupées et<br />
partage avec le duc de Fréneuse cette obsession pour les yeux glauques<br />
qui le tourmentent. Mais cette hantise est d’ordre sexuel et l’épisode de<br />
la fumerie d’opium et des visions érotiques du protagoniste confi rment<br />
cette attirance malsaine pour la blessure :<br />
(…) la gandoura s’ouvrait sur une poitrine plate, d’une blancheur<br />
d’ivoire ; mais au cou saignait, comme une large entaille, une<br />
cicatrice ou une plaie 41 .<br />
Cette passion morbide pour l’estafi lade, la meurtrissure, la lésion<br />
ou la tuméfaction nous renvoie à un poncif misogyne qui consiste<br />
à représenter le sexe féminin comme une déchirure, une mutilation<br />
fondamentale dont seraient frappées les femmes depuis la nuit des<br />
temps. La blessure infl igée à Mina Harker, au lendemain de sa coucherie<br />
avec le comte Dracula, trahit, elle aussi, la faute de son sexe en fi gurant<br />
au milieu de son front vierge, en dessous de la naissance des cheveux,<br />
la vulve impure 42 . Un tel stigmate n’est pas anodin dans le dispositif<br />
édifi ant mis en place par Stoker.Gilbert Lascaux dans <strong>Les</strong> Monstres dans<br />
l’art occidental explique :<br />
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