revue finissante - Les âmes d'Atala
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Alain Buisine<br />
mère. Son épouvantable agonie est un rejet, un vomissement à la fois<br />
physiologique et psychique :<br />
Cette agonie du prince Noronsoff, c'était la ruée d'immondices<br />
d'un égout qui se vide, les jets de pus et de sanies d'une vieille<br />
haine indurée et pourrie qui crève enfi n comme un abcès. Il<br />
invectivait sa mère [...]. Et dans un hoquet suprême il crachait<br />
enfi n la vieille âme de Byzance trop longtemps attardée en<br />
lui 51 .<br />
Extraordinaire agonie où le psychologique n'a que des manifestattions<br />
purement physiologiques. Que fait donc d'autre le prince que de tenter<br />
d'expulser, quasiment sur un mode anal, la mère qu'il porte en lui?<br />
Car s'il est vrai que cette insistance analité qui règne dans l'écriture de<br />
Lorrain est sans doute le symptôme d'une impossibilité de se détacher de<br />
la mère, simultanément le texte met en scène une évacuation proprement<br />
organique du maternel. Le prince Noronsoff doit expulser sa mère parce<br />
que, par le biais des tares héréditaires qu'elle lui a transmises, il est<br />
enceint d'elle:<br />
Moi, ma mère m'a enfanté dans une heure mauvaise et je porte<br />
en moi-même un tas d'ancêtres qui reviennent 52 .<br />
« Méfi ez-vous de tout ce qui vient de la mer », telle est la prophétie<br />
prononcée par trois fois par la comtesse Schoboleska à l'adresse du<br />
prince. Et même s'il est vrai que la mort de Noronsoff sera proprement<br />
et grotesquement maritime puisqu'il périra pour avoir été violemment<br />
gifl é avec une sole par une poissarde, il faut bien sûr comprendre que<br />
tout est venu de la mère. De son égoïsme, de sa possessivité, de son<br />
excessive présence, de sa surveillance, de son dévouement tyrannique<br />
et de ses soins envahissants, de son autorité jalouse. «Votre tendresse,<br />
c'est l'in pace d'un condamné de l'Inquisition », lui lance à la fi gure le<br />
prince Noronsoff, affolé et traqué. Possessive comme dans La villa des<br />
cyprès Lady Faringhers qui aimait passionnément son fi ls: « C'était<br />
une adoration presque sauvage, exclusive et jalouse, qui n'admettait<br />
aucun partage, adoration où il entrait autant d'orgueil que d'admiration<br />
sensuelle, et qu'il faut bien parfois constater chez les femmes les plus<br />
honnêtes ; espèce de frénésie maternelle où se revanche, on dirait,<br />
une sexualité sevrée de caresses par la froideur ou l'inconstance d'un<br />
époux 53 ». Après la mort accidentelle de ce fi ls Lady Faringhers non<br />
seulement s'emmure vivante dans la solitude de sa propriété sur la<br />
Riviera, mais en outre, pour commémorer et éterniser la disparition<br />
du jeune homme, elle a conclu un cruel mar ché avec la famille de<br />
sa maîtresse : moyennant le versement d'une rente élevée, celle-ci la<br />
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