revue finissante - Les âmes d'Atala

Irrumations fin-de-siècle
en réalité qu’un avertissement dans le dispositif édifi ant de Stoker. Mais
la menace est réelle, car Mina peut devenir à son tour une fellatrice à
l’instar de Rachilde qui est décrite dans un ouvrage de 1888, écrit par
un mystérieux Dr Luiz 7 , comme « le champion des fellatores 8 ». Nous
osons la comparaison car toutes deux sont des « femmes de lettre » et
c’est à ce titre, semble-t-il, qu’elles sont les victimes de tels quolibets de
la part de leurs congénères masculins.
La fellation peut être interprétée comme une tentative de faire taire
la femme, cette « cerveline » qui prend la plume, qui écrit à la machine,
s’introduit dans les cercles littéraires et menace l’activité masculine
qu’est, par essence, l’intellection. Corrompre sexuellement Mina
revient à l’isoler des siens en la discréditant sur le plan de la raison.
Cela permet au vampire de neutraliser son travail de recoupement des
différents documents, puisqu’il lui est rapidement défendu d’accéder
aux informations relatives au comte, de peur qu’elle ne les transmette
au vampire, par le biais de l’hypnose. Manœuvre vitale pour Dracula,
puisqu’à mesure qu’elle défi nit son personnage, elle le condamne
à sa perte. La fellation, en inversant la vulve et la bouche 9 , vient
donc à la fois perturber la sexualité dans sa fonction reproductrice et
la communication dans son aspect unifi cateur. Le viol vampirique,
l’irrumation, attente à l’intégrité physique du corps national à travers
son système de reproduction et son processus de cohésion sociale, ce
qui l’oppose au viol génital, commis par les croisés de l’ordre ancien,
qui vise à la ré-appropriation du territoire et à la consolidation des liens
sociaux à travers la maternité et la famille 10 .
Mythologie de la fellation
Mais contraindre Mina Harker à administrer une fellation contre son
gré est également une manière de conjurer le sort pour l’homme fi nde-siècle,
hanté par les mythes de la décollation et de la manducation.
Le spectre du chef coupé plane sur la décadence rappelant à la fois les
mythes d’Orphée et d’Holopherne, ainsi que ceux de la Révolution
française et de la Terreur 11 . Chorégraphes, peintres et écrivains se sont
plus à représenter cette damnatio capitis sous différentes formes, dans
une dynamique de répulsion-attirance propre à la décadence. Notons,
tout d’abord, que ce mythe est fl anqué du sceau de la féminité néfaste
et meurtrière. C’est dans ce sens que l’écrivain convoque la fi gure de
Salomé qui, au-delà de l’anecdote historique, semble incarner plus
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