revue finissante - Les âmes d'Atala
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Ian Geay<br />
largement la femme fatale, celle qui prive, tue, mutile ou déshérite. En<br />
un mot, celle qui castre. Ce mythe est issu des évangiles de Mathieu<br />
et de Marc qui relatent qu’une jeune femme a obtenu, en récompense<br />
d’une danse, la tête coupée du prophète Jean-Baptiste sur un plat<br />
d’argent. L’histoire est en réalité celle d’une vengeance féminine.<br />
Autour de 29 après Jésus-Christ, le prophète Jean-Baptiste parcourt les<br />
rues en lançant malédictions et anathèmes à la face de ceux et celles qui<br />
veulent bien l’entendre, comme l’on crie dans un désert. Mais lorsqu’il<br />
reproche publiquement à Hérode Antipas, tétrarque de son état, d’avoir<br />
épousé la femme de son frère, il semble cette fois-ci être entendu, car il<br />
touche un point névralgique du pouvoir et surtout, il s’attire les foudres<br />
d’Hérodiade, la femme du tétrarque, qui, blessée dans son orgueil,<br />
voit son statut d’épouse remis en cause par l’exalté. Le jour d’un<br />
grand banquet donné en l’honneur de l’anniversaire d’Hérode, la fi lle<br />
d’Hérodiade entre et danse devant le roi et ses convives. Le spectacle<br />
remporte un franc succès : Saltavit et placuit. Le tétrarque demande<br />
alors à la jeune fi lle ce qu’elle désire pour la remercier de sa prestation.<br />
Sur les conseils de sa mère, celle-ci réclame qu’on lui apporte la tête de<br />
Jean-Baptiste, sur un plat. Quelque peu chagriné, le roi qui observait<br />
une certaine sympathie à l’égard de l’annonciateur, décide néanmoins<br />
de réaliser la prophétie christique de Jean, « il faut qu’il croisse et que<br />
je diminue », en le faisant décapiter par l’un des gardes de la prison où<br />
il était détenu. Telle fut la passion de Jean-Baptiste. Mathieu et Marc<br />
rapportèrent cet épisode aussi cruel qu’anecdotique pour expliquer<br />
la crainte du roi Hérode d’être châtié par Jésus qu’il croyait être la<br />
réincarnation de celui qu’il a fait exécuter : « C’est Jean-Baptiste ! Il est<br />
ressuscité des morts ; voilà pourquoi se manifeste en lui le pouvoir des<br />
miracles ».<br />
L’anecdote est en réalité le récit du premier des martyres de l’ère<br />
du Christ, un épisode crucial de l’histoire de la chrétienté qui n’est pas<br />
sans rappeler le rôle littéraire du viol dans les textes fondateurs des<br />
civilisations latines. Jean, en tant que dernier des prophètes du Christ,<br />
se trouve à la jonction de l’Ancien et du Nouveau Testament. Son<br />
exécution symbolise la charnière entre l’Ere païenne et l’Ere chrétienne,<br />
une sorte d’oblation fondatrice à l’orée du christianisme. Salomé et sa<br />
mère Hérodiade représentent quant à elles le monde des bas instincts,<br />
l’immanence païenne face à la chrétienté ascendante. La danse est là<br />
pour confi rmer cet enracinement au sol par la volupté et le sexe des<br />
femmes et s’oppose à l’ascétisme de l’annonciateur. Le monde des<br />
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