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revue finissante - Les âmes d'Atala

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Marcel Schwob<br />

son existence. Fumant leur pipe, assis sur leur lit, dans la<br />

même attitude, exhalant les mêmes tourbillons de vapeur,<br />

et poussant simultanément les mêmes cris inarticulés, ils<br />

ressemblaient plutôt à des pantins gigantesques apportés<br />

d’Orient, à des masques sanglants venus d’Outre-mer,<br />

qu’à des êtres animés d’une vie consciente et qui avaient<br />

été des hommes.<br />

Ils étaient «ses deux singes», ses bonshommes rouges, ses<br />

deux petits marins, ses hommes brûlés, ses corps sans âme,<br />

ses polichinelles de viande, ses têtes trouées, ses caboches<br />

sans cervelle, ses fi gures de sang ; elle les bichonnait à<br />

tour de rôle, faisait leur couverture, bordait leurs draps,<br />

mêlait leur vin, cassait leur pain ; elle les menait marcher<br />

par le milieu de la chambre, un à chaque côté, et les faisait<br />

sauter sur le parquet ; elle jouait avec eux, et, s’ils se<br />

fâchaient, les renvoyait du plat de la main. D’une caresse<br />

ils étaient auprès d’elle, comme deux chiens folâtres ;<br />

d’un geste dur, ils demeuraient pliés en deux, semblables<br />

à des animaux repentants. Ils se frôlaient contre elle et<br />

quêtaient les friandises ; tous deux possesseurs d’écuelles<br />

en bois où ils plongeaient périodiquement, avec des<br />

hurlements joyeux, leurs masques rouges.<br />

Ces deux têtes n’irritaient plus la petite femme comme<br />

autrefois, ne l’intriguaient plus à la façon de deux loups<br />

vermeils posés sur des fi gures connues. Elle les aimait<br />

également, avec des moues enfantines. Elle disait d’eux :<br />

«Mes pantins sont couchés ; mes hommes se promènent».<br />

Elle ne comprit pas qu’on vint de l’hôpital demander<br />

lequel elle gardait. Ce lui fut une question absurde : c’était<br />

comme si on avait exigé qu’elle coupât son mari en deux.<br />

Elle les punissait souvent à la manière des enfants avec<br />

leurs poupées méchantes. Elle disait à l’un : «Tu vois,<br />

mon petit loup - ton frère est vilain - il est mauvais comme<br />

un singe - je lui ai tourné sa fi gure contre le mur ; je ne<br />

le retournerai que s’il me demande pardon». Après, avec<br />

un petit rire, elle retournait le pauvre corps, doucement<br />

soumis à la pénitence, et lui embrassait les mains. Elle<br />

leur baisait aussi parfois leurs affreuses coutures, et<br />

s’essuyait la bouche toute de suite après, en fronçant les<br />

lèvres, en cachette. Et elle riait aussitôt, à perte de vue.<br />

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