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1882 - Université Libre de Bruxelles

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38<br />

généralement il les déclare mal fondées et il y<br />

substitue <strong>de</strong>s solutions nouvelles. C’est ainsi<br />

qu’il n’admet pas que le formalisme dans la procédure<br />

fût poussé aussi loin que le veulent la<br />

plupart <strong>de</strong>s germanistes ; il repousse l’opinion<br />

d'après laquelle dans le droit salique le jugement<br />

ne décidait pas le litige, et se bornait à<br />

faire faire un pas au procès, en forçant l’inculpé<br />

qui n’avouait pas, à fournir la preuve; il considère<br />

le témoignage comme un <strong>de</strong>s moyens<br />

réguliers d’établir une assertion en justice, et il<br />

restreint considérablement le röle <strong>de</strong>s cojura-<br />

teurs.<br />

Toutes ces thèses sont opposées aux doctrines<br />

régnantes; elles donneront lieu sans doute à <strong>de</strong><br />

vives polém iques; je ne voudrais pas en abor<strong>de</strong>r<br />

ici la d iscu ssio n , mais je me perm ettrai une<br />

rem arque générale. M. Thonissen me paraît trop<br />

disposé à invoquer le sens commun. Le sens<br />

commun n’est pas un argum ent historique; si<br />

l’on <strong>de</strong>vait repousser <strong>de</strong> l’histoire tous les faits<br />

qui contrarient la raison, on s’égarerait singulièrem<br />

ent. Que resterait-il, par exemple, <strong>de</strong> tous les<br />

phénomènes <strong>de</strong> la vie religieuse? Comment se<br />

résoudre à adm ettre que <strong>de</strong>s hommes sérieux<br />

aient jamais pu croire à la divination par les<br />

poulets sacrés, ou à la vertu <strong>de</strong>s reliques <strong>de</strong>s<br />

saints? Comment consentira ce qu’on ait versé<br />

le sang ù Constantinople parce qu’on ne s’entendait<br />

pas sur la procession du Fils ou du Saint-<br />

Esprit, et que, <strong>de</strong> nos jours encore, les dogmes<br />

les moins raisonnables trouvent foi même chez<br />

<strong>de</strong>s savauts <strong>de</strong> la plus haute valeur ?<br />

Il ne suffit donc pas, pour écarter une interprétation<br />

<strong>de</strong> la loi salique, d’alléguer que les<br />

Francs étaient assez éclairés pour ne pas<br />

inscrire dans leur droit <strong>de</strong>s principes qui nous<br />

choquent. Ne voit-on pas les Burgon<strong>de</strong>s, par<br />

exemple, proclamer les mêmes principes, et,<br />

çommo lo rappelle M. Thonissen, un contem ­<br />

porain, Agobard <strong>de</strong> L yon, n’écril-il pas à propos<br />

<strong>de</strong> la loi Gombette, qu’elle est inouïe et<br />

absur<strong>de</strong> au <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>gré? Pourquoi la loi salique<br />

n’aurait-elle pas été absur<strong>de</strong> quelquefois?<br />

Ou plutöt, pourquoi ne reconnaîtrions-nous pas<br />

qu’une civilisation encore ru<strong>de</strong> et imparfaite<br />

pouvait s’accommo<strong>de</strong>r d’institutions incom patibles<br />

avec nos idées mo<strong>de</strong>rnes ?<br />

Je me ferais cependant mal comprendre, si<br />

l’on <strong>de</strong>vait déduire <strong>de</strong> mes paroles que M. Thonissen<br />

n’a pas apporté à l'appui <strong>de</strong> ses opinions<br />

<strong>de</strong>s arguments d’un ordre plus sérieux, puisés<br />

dans le texte même qu’il interprète. Sur aucune<br />

<strong>de</strong> ces questions <strong>de</strong> procédure je n’oserais soutenir<br />

qu’il a to rt; je constate seulement qu’il<br />

s’est placé plus au point <strong>de</strong> vue absolu du juriste<br />

qu'à celui <strong>de</strong> l’historien ; il n’a tenu, je<br />

crois, un compte suffisant ni <strong>de</strong>s antécé<strong>de</strong>nts,<br />

ni <strong>de</strong>s développements ultérieurs <strong>de</strong>s institutions<br />

saliennes.<br />

On s’en aperçoit notamment dans le chapitre<br />

qui traite <strong>de</strong> l'exécution du jugem ent et spécialement<br />

<strong>de</strong> l’exéculion immobilière. Sohm avait<br />

soutenu, par <strong>de</strong>s raisons bien fortes, que les<br />

Francs saliens ne connaissaient point la propriété<br />

immobilière proprem ent dite, et qu’ils<br />

la limitaient à la maison et au jardin attenant;<br />

leur loi ne parle ni du procès im m obilier, ni <strong>de</strong><br />

la succossioij ot do l’exécution im mobilières.<br />

M. Thonissen combat cette assertion ; à mon<br />

sens, il se trompe ; il n’a pas envisagé le p ro ­<br />

blème dans son ensemble. N’oublions jam ais que<br />

l’époque <strong>de</strong> la loi salique est une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

transition ; on y voit poindre une organisation<br />

L’ATHENÆUM BELGE<br />

sociale nouvelle, mais les élém ents <strong>de</strong> l’ancienne<br />

vie germ anique n’ont pas disparu.<br />

La tradition germ anique ne donnait pas aux<br />

Saliens la notion <strong>de</strong> la propriété telle que les<br />

Romains l’avaient conçue ; la majeure partie <strong>de</strong>s<br />

Francs étaient encore établis dans <strong>de</strong>s villages,<br />

villœ, où dominait encore le système <strong>de</strong> la collectivité;<br />

les voisins, vieilli, c’est-à-dire les habitants<br />

du village, avaient tous un droit égal au<br />

territoire <strong>de</strong> la communauté; ce territoire avait<br />

été partagé, et le partage ne se répétait point à<br />

<strong>de</strong>s époques fixes ; mais, en principe, le droit<br />

collectif n’était pas éteint; il se manifestait, si<br />

l’un <strong>de</strong>s occupants m ourait sans héritiers mâles<br />

directs ; car, dans ce cas, les vicin i pouvaient réclamer<br />

son domaine ; pareillement les habitants<br />

du village pouvaient s’opposer à l’établissem ent<br />

d’un étranger sur leur territoire, même s’il y<br />

avait été appelé par l’un d’eu x ; la présence<br />

d’un nouveau-venu dim inuait en effet le droit<br />

latent <strong>de</strong>s autres.<br />

Toutefois, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s terres collectives, il<br />

y avait déjà <strong>de</strong>s fermes isolées, surtout sur terre<br />

romaine ; on sait que les Francs, lors <strong>de</strong> la conquête,<br />

n’avaient pas procédé à un partage en<br />

règle, comme d ’autres peuples germ aniques<br />

l’avaient fait en Italie et en Gaule; les Francs<br />

s’étaient établis comme bon leur sem blait; ils<br />

avaient confisqué <strong>de</strong>s domaines rom ains, et<br />

s’étaient substitués aux propriétaires. Ce sont<br />

ces terres que l’on appellera plus tard par excellence<br />

terres satiques ; la notion <strong>de</strong> la propriété<br />

immobilière s’y appliquait assurém ent, et en<br />

cas <strong>de</strong> déshérence elles passaient non pas à<br />

<strong>de</strong>s vicini, mais au roi. Le Mérovingien Chil-<br />

péric modifia, par un édit Célèbre, l’antique<br />

coutume qui excluait les femmes <strong>de</strong> la possession<br />

<strong>de</strong> la terre; mais cet édit ne visait que les<br />

domaines <strong>de</strong> la collectivité villageoise, et non<br />

les domaines saliques; aussi les i'édàctioDS <strong>de</strong><br />

la loi postérieures à Chilpéric ajoutèrent-elles<br />

le m ot salica dans la célèbre phrase : <strong>de</strong> terra<br />

(salica) auLem in m uliere nulla heréditas est<br />

(Titre L1X ; voir Hessels et Kern, colonnes 379 à<br />

386); les manuscrits <strong>de</strong> la prem ière classe, qui<br />

représentent la rédaction plus ancienne, ne<br />

portent pas le mot salica. M. Thonissen n ’a pas<br />

tenu compte <strong>de</strong> cette différence, et il invoque<br />

l’article pour soutenir que dès le principe les<br />

femmes mêmes étaient admises, sauf pour les<br />

domaines saliques, au partage <strong>de</strong> la succession<br />

immobilière. Il n’en est rien. Les fils continuaient<br />

le père, parce que, comme lui, ils<br />

étaient membres <strong>de</strong> la communauté villageoise;<br />

mais leurs droits étaient i<strong>de</strong>ntiques à ceux du<br />

père, et restreints par les droits <strong>de</strong> copropriété<br />

<strong>de</strong> leurs voisins.<br />

Il me reste à mentionner un <strong>de</strong>rnier point,<br />

au sujet duquel je ne puis donner raison à<br />

M. Thonissen, c’est l’époque <strong>de</strong> la rédaction <strong>de</strong><br />

la loi salique ; pour la solution <strong>de</strong> ce problème<br />

purement historique, qu’il traite dans son In ­<br />

troduction, il se range à l’avis <strong>de</strong> Grimm et <strong>de</strong><br />

W aitz, et conclut que la loi est antérieure aux<br />

conquêtes <strong>de</strong> Clodion. Cette thèse est fort ébranlée,<br />

et je ne crois pas qu’en Allemagne un seul<br />

historien s’y rallie encore; Sybel, dans la<br />

<strong>de</strong>uxième édition <strong>de</strong> son livre : Die Entstehung<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>utschen Königthum s, la combat vivement,<br />

et Schroe<strong>de</strong>r, dans ses articles cités plus<br />

haut et dans un opuscule récent : Die F ranken<br />

u nd ih r Recht, l’a soumise à une critique im ­<br />

pitoyable et décisive.<br />

Quels sont les éléments principaux qui per­<br />

m ettent <strong>de</strong> trancher la question ? Comme date<br />

la plus rapprochée <strong>de</strong> nous on ne peut dépasser<br />

l’époque <strong>de</strong> la conversion <strong>de</strong>s Francs au christianisme,<br />

c’est-à-dire l’année 496 ; car, on l’a<br />

rem arqué <strong>de</strong>puis longtem ps, la loi salique ne<br />

porte aucune trace d ’inftuence chrétienne et<br />

suppose au contraire <strong>de</strong>s pratiques religieuses<br />

conformes aux anciennes croyances germ aniques.<br />

Quant à la date la plus reculée, on la déduit<br />

d’un article du litre XLV1I, qui, fixant les limites<br />

du territoire franc, indique la Forêt charbonnière<br />

d’une part, et un cours d’eau appelé L ig in s <strong>de</strong><br />

l’autre. La Ligeris, c’est incontestablem ent la<br />

L oire; m aiso n s’est ingénié à y voir la Lys,<br />

affluent <strong>de</strong> l’Escaut, et M. Thonissen se range à<br />

cette interprétation. Les Saliens auraient donc<br />

été cantonnés dans nos provinces septentrionales<br />

quand ils rédigèrent leur loi, et n ’auraient<br />

pas encore mis le pied sur le sol <strong>de</strong> la France<br />

actuelle.<br />

Malheureusement pour cette thèse, la Lys n’a<br />

jam ais été appelée Ligeris, mais bien Legia ou<br />

L eya; on a prétendu la retrouver sous le prem<br />

ier <strong>de</strong> ces noms dans un diplöme <strong>de</strong> Sige-<br />

bert II; mais Schroe<strong>de</strong>r a m ontré avec une rare<br />

sagacité que les noms géographiques m entionnés<br />

dans ce diplöme se rapportent, non à la<br />

Flandre, mais à la région <strong>de</strong> la Loire. La Ligeris<br />

est donc bien la Loire ; telle est aussi l’opinion<br />

<strong>de</strong> Kern et Ilessels.<br />

Au surplus, la Forêt charbonnière et la Lys<br />

n’ont jamais pu délimiter un territoire quelconq<br />

u e; car on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> immédiatement où<br />

s’arrêtait vers le nord et vers l’est l’autorité <strong>de</strong><br />

la loi. La Forêt charbonnière et la Loire, au<br />

contraire, représentent très nettem ent les frontières<br />

du royaum e <strong>de</strong> Clovis, après la défaite <strong>de</strong><br />

Syagrius, en 486, et avant la soum ission <strong>de</strong>s<br />

petits rois saliens indépendants, <strong>de</strong> la Flandre et<br />

du Brabant.<br />

D’autres considérations fortifient cette manière<br />

<strong>de</strong> voir. La loi salique m entionne la culture <strong>de</strong><br />

la vigne ; or, Schroe<strong>de</strong>r a montré que la vigne<br />

n ’avait pas au vc siècle dépassé la Forêt charbonnière.<br />

D’autre part, Soelbeer, dans ses intéressantes<br />

recherches sur l'H istoire m onétaire<br />

<strong>de</strong> iA llem a g n e, a établi que la rédaction <strong>de</strong> la<br />

loi salique n’a pu être motivée que par la conquête<br />

<strong>de</strong> Clovis. Les Francs se servaient comme<br />

unité m onétaire du <strong>de</strong>nier d'argent im périal,<br />

valant 1/12 du sou (solidus); les Gallo-Romains<br />

<strong>de</strong> leur cö té ne connaissaient plus guère qu’un<br />

billon dont la valeur ne dépassait pas 1/6000 du<br />

sou ; le contact que la conquête amenait entre<br />

les <strong>de</strong>ux peuples rendait une entente nécessaire<br />

au sujet <strong>de</strong> la valeur respective <strong>de</strong> ces monnaies;<br />

la loi salique a pour but principal <strong>de</strong> déterm iner<br />

d’une m anière précise le système <strong>de</strong>s compositions<br />

pour les Francs et pour les Romains.<br />

La Belgique doit donc renoncer à la gloire<br />

d’avoir été le berceau <strong>de</strong> la loi salique; mais<br />

elle n ’en a pas moins été soumise pendant longtemps,<br />

aux règles du droit franc, et si nous ne<br />

pouvons donner raison à M. Thonissen sur<br />

cette question <strong>de</strong>s origines, nous ne lui en<br />

<strong>de</strong>vons pas moins beaucoup <strong>de</strong> reconnaissance<br />

pour l’œuvre savante dont il a doté notre pays.<br />

Elle nous servira assurém ent à mieux comprendre<br />

noire passé, et elle rendra familières, espérons-le,<br />

<strong>de</strong>s notions qui jusqu’ici n ’avaient<br />

guère pénétré dans notre littérature historique.<br />

L é o n V a n d e r k i n d e r e .

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