1882 - Université Libre de Bruxelles
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02<br />
contemplerait cette portion affairée <strong>de</strong> la race<br />
européenne, confinée dans <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s villes<br />
aux hautes maisons, habillée partout à la française,<br />
soumise aux mêmes usages et aux mêmes<br />
lois, et qui n ’entrerait pas dans l’intimité <strong>de</strong><br />
nos rapports journaliers, nous prendrait, lui<br />
aussi, pour <strong>de</strong>s espèces <strong>de</strong> fourmis dont tous les<br />
actes se meuvent dans un cercle restreint et<br />
fatal. En effet, ce qui nous frappe chez les insectes,<br />
ce sont précisém ent les merveilleux<br />
résultats <strong>de</strong>s instincts; mais nous ne pénétrons<br />
pas au <strong>de</strong> la <strong>de</strong> ces manifestations tout extérieures.<br />
Or, quand nous lisons dans Huber que,<br />
lors <strong>de</strong> l'invasion du sphinx Atropos dans ses<br />
ruches, les abeilles surent trouver <strong>de</strong>s moyens<br />
variés pour se garantir contre cet ennemi d’un<br />
nouveau genre, nous ne pouvons nous empêcher<br />
<strong>de</strong> rem arquer l’extrême analogie <strong>de</strong> leurs actes<br />
avec ceux que l’homme exécuterait, et avait<br />
même exécutés, en pareille occurrence.<br />
Passons aux facultés perceptives. Chaque animal<br />
tient <strong>de</strong> ses parents un certain nom bre et<br />
une certaine nature <strong>de</strong> sens. Le chien n ’hérite<br />
pas seulement <strong>de</strong> l’odorat, mais <strong>de</strong> telle variété<br />
d ’odorat qui le rend propre à une chasse déter<br />
minée. Le sens du toucher et la main, son organe,<br />
la vue et l’œil, l’ouïe et l’oreille, l’odorat<br />
et le goût ainsi que les appareils olfactifs et gus-<br />
tatifs se modifienl par transmission héréditaire.<br />
Ce n ’est pas douteux.<br />
On en peut dire autant <strong>de</strong> la mémoire et <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s.<br />
Pour comprendre ici le r öle <strong>de</strong> l’hérédité,<br />
il ne faut pas perdre <strong>de</strong> vue qu’au fond,<br />
c’est à-dire, prise dans sa racine même, la mémoire<br />
est une propriété vitale, une aptitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
l’organisme à conserver certains états et à les<br />
reproduire. Les psychologistes <strong>de</strong> profession<br />
oublient volontiers la mém oire organique, et<br />
n’onl en vue que la mémoire consciente. La<br />
mémoire est une espèce d ’habitu<strong>de</strong>. Or, les habitu<strong>de</strong>s<br />
se transm ettent. Aux exemples concluants<br />
cités parM . Ribot, je pourrais en ajouter<br />
un grand nom bre. Nous en choisissons un qui<br />
est caractéristique. Nous connaissons un père<br />
qui, dans son jeune âge, avait pris la mauvaise<br />
habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r dans la bouche pendant <strong>de</strong>s<br />
heures entières les <strong>de</strong>rnières bouchées du pain<br />
qu’on lui donnait pour son déjeuner. Son fils a<br />
hérité du même tic. Quant à la transmission <strong>de</strong><br />
la mémoire intellectuelle et particulièrem ent <strong>de</strong><br />
ce que l’on appelle les heureuses mémoires, on<br />
en a peu d’exemples. Ceci peut s’expliquer<br />
après tout par le röle assez effacé que la mém<br />
oire joue dans la vie humaine.<br />
Nous voilà arrivé à l’intelligence, c’est-à-dire<br />
aux formes supérieures <strong>de</strong> la vie mentale, aux<br />
entrailles mêmes <strong>de</strong> la question. « Le bon sens,<br />
le génie, le talent, la finesse, les aptitu<strong>de</strong>s artistiques,<br />
scientifiques, pratiques, sont-ils héréditaires?<br />
»<br />
Au point <strong>de</strong> vue logique, il est bien difficile,<br />
du moment que l’on est forcé d’admettre l’hérédité<br />
<strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s inférieurs <strong>de</strong> l’intelligence, <strong>de</strong> ne<br />
pas l’admettre pour l’iutelligence entière. Cette<br />
conséquence s’impose au matérialisme. L’idéalisme,<br />
il est vrai, pourrait la repousser; mais<br />
comme d’ordinaire il ne nie pas les connexions<br />
entre l’organisme et l'esp rit, il n’a aucune<br />
raison do rejeter, a priori, la loi d hérédité intellectuelle,<br />
au moins comme loi d’apparence.<br />
Il s’agit maintenant <strong>de</strong> voir si, outre qu’elle<br />
est possible, elle est réelle. Pour répondre à la<br />
question, il ne faudrait pas croire qu’il fût bon,<br />
à l’imitation <strong>de</strong> la psychologie analytique, <strong>de</strong><br />
L’ATHENÆUM BELGE<br />
diviser l’intelligence en fonctions élém entaires,<br />
imagination, jugem ent, etc., et d’appliquer les<br />
recherches à chacune d’entre elles. Cette métho<strong>de</strong><br />
artificielle nous égarerait immanquablement.<br />
Le mieux, c'est <strong>de</strong> prendre les résultats <strong>de</strong><br />
l’activité intellectuelle. Le procédé paraît grossier,<br />
mais il est sûr. Or, quand on pense à la<br />
difficulté <strong>de</strong> citer <strong>de</strong>s faits historiquem ent prouvés<br />
à propos d'un problème qu’on ne s’était<br />
jamais avisé <strong>de</strong> poser, on est vraiment étonné<br />
<strong>de</strong> la masse qu’on en peut recueillir. Ainsi qui<br />
ne sait que le sentim ent <strong>de</strong> la musique est le<br />
privilège <strong>de</strong> certaines familles? La famille <strong>de</strong>s<br />
Bach fournit à elle seule 29 musiciens éminents,<br />
et Fétis en mentionne 57 (1) . II. Ribot cite<br />
ensuite <strong>de</strong>s familles <strong>de</strong> peintres, <strong>de</strong> poètes et<br />
<strong>de</strong> savants (2). Quoique persuadé <strong>de</strong> l’excellence<br />
<strong>de</strong> la thèse qu’il soutient, nous n’oserions<br />
dire si l’on ne pourrait pas attribuer cette constance<br />
dans les aptitu<strong>de</strong>s à l’éducation et au<br />
milieu. Sans doute, M. Ribot a raison <strong>de</strong> soutenir,<br />
dans un chapitre ultérieur, que l’influence<br />
<strong>de</strong> l’éducation « n’est jamais absolue et n ’a<br />
d ’action efficace que sur les natures moyennes »;<br />
cependant élevez un enfant au sein <strong>de</strong>s arts et<br />
dans la société <strong>de</strong>s artistes, il y a une certaine<br />
chance que vous en ferez un artiste. Nous pourrions<br />
citer <strong>de</strong>s faits à l’appui <strong>de</strong> cette manière<br />
<strong>de</strong> voir.<br />
Comme exemple <strong>de</strong> l’hérédité <strong>de</strong>s sentim ents<br />
et <strong>de</strong>s passions, rappelons seulem ent l’hérédité<br />
<strong>de</strong> l’alcoolisme, tellem ent fréquente qu’on s’accor<strong>de</strong><br />
à la considérer comme étant <strong>de</strong> règle,<br />
« non que la passion <strong>de</strong> boire se transm ette<br />
toujours sous cette forme aux <strong>de</strong>scendants;<br />
mais alors elle dégénère en m anie, idiotie, hallucination.<br />
»<br />
Ici encore cependant nous ferons une réserve<br />
analogue. « A père avare, fils prodigue, » dit le<br />
proverbe; la loi d’héréditéaffirm eraitle contraire.<br />
Evi<strong>de</strong>mment, pour faire exactement la part <strong>de</strong><br />
l’imitation et <strong>de</strong> l’hérédité, il faudrait pouvoir<br />
expérim enter sur l’homme, ce qui est chose<br />
impossible. Il faudrait voir, par exemple, si la<br />
fréquentation assidue d’avares, <strong>de</strong> joueurs, <strong>de</strong><br />
voleurs, etc., ne suffit pas à engendrer ces dispositions<br />
pour le vol, le jeu, l’avarice. Dis-moi<br />
qui tu hantes, je te dirai qui tu es — et aussi<br />
qui tu <strong>de</strong>viendras. — Quand on nous dit que<br />
« toute la lignée <strong>de</strong>s Guises fut audacieuse, tém<br />
éraire, factieuse, pétrie du plus insolent<br />
orgueil et <strong>de</strong> la politesse la plus séduisante »,<br />
et qu’on veut <strong>de</strong> là tirer une conséquence<br />
concernant l’hérédité, nous nous <strong>de</strong>mandons si<br />
l’on ne va pas trop loin, si l’on n’oublie pas un<br />
facteur im portant qui fait, par exemple, que tous<br />
les m ilitaires sont susceptibles sur le point<br />
d’honneur, les moines paresseux, et les jésuites<br />
insinuants. Il y a <strong>de</strong>s traditions <strong>de</strong> famille,<br />
comme il y a <strong>de</strong>s traditions <strong>de</strong> corporations et<br />
<strong>de</strong>s traditions nationales. II. Ribot d’ailleurs<br />
reconnaît, jusqu’à un certain point, la faiblesse<br />
<strong>de</strong> la base sur laquelle il s’appuie. « Les considérations<br />
<strong>de</strong> cette nature sont, dit-il, si étrangères<br />
aux historiens, que leurs ouvrages ne sont<br />
que d’un médiocre secours pour les étudier.<br />
Peu soucieux <strong>de</strong>s détails « indignes <strong>de</strong> la m ajesté<br />
<strong>de</strong> L'histoire », ils ont négligé le fait précis,<br />
trivial, mais qui en apprend plus long sur un<br />
(1) A L iège, c ’est un fait reconnu que dans la fam ille <strong>de</strong>s<br />
M assart, qui a fourni <strong>de</strong> si bons professeurs au C onservatoire,<br />
on naît m usicien.<br />
(2) O n peut ajouter ce tait que M** G uyon, la célèbre m ystique,<br />
était fille <strong>de</strong> parents d une dévotion outrée.<br />
caractère que dix pages <strong>de</strong> phrases vagues. »<br />
On ne peut mieux dire.<br />
Du chapitre sur le caractère national, faisons<br />
mention expresse <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> sur les Juifs et les<br />
Bohémiens, représentant, les uns, le type le plus<br />
anciennement civilisé qui existe en Europe,<br />
les autres, la race la plus réfractaire à la civilisation.<br />
C’est u n fait apprécié par tout le mon<strong>de</strong><br />
que les uns et les autres, malgré leur dispersion<br />
ou leur vie errante, ont conservé d’une manière<br />
rem arquable un caractère propre. Nous n ’insisterons<br />
pas, car les lim ites d’un compte rendu<br />
s’y opposent. Nous passons <strong>de</strong> même sur l’héré-<br />
diié <strong>de</strong>s phrénopathies. Citons, comme cas singulier,<br />
la monomanie du suici<strong>de</strong>.<br />
Nous serons plus bref encore pour les<br />
<strong>de</strong>uxième et troisièm e parties, qui sont toutes<br />
<strong>de</strong> discussion et par cela même difficiles à<br />
résum er.<br />
L’hérédité est-elle une loi ? Quoiqu’on ait pu<br />
soutenir le contraire, cela n’est pas douteux si<br />
l’on songe que l’hérédité régit toujours les caractères<br />
<strong>de</strong> l’espèce et <strong>de</strong> la variété, et souvent les<br />
caractères individuels. Mais cette loi, sous l’action<br />
d’un fait, la génération par le concours <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux individus <strong>de</strong> sexes différents, se morcelle<br />
en lois secondaires : loi d’hérédité directe, lo<br />
<strong>de</strong> prépondérance (d’un sexe sur le même sexe<br />
ou sur l’autre), loi d’hérédité en retour (atavisme),<br />
loi d’hérédité aux pério<strong>de</strong>s correspondantes<br />
<strong>de</strong> la vie (hérédité homochrone). Ces lois<br />
sont plus ou moins controversées, et l’on comprend<br />
qu’il ne puisse en être autrem ent, en<br />
l’absence <strong>de</strong> toute recherche statistique intelligente.<br />
Prenons comme exemple la question <strong>de</strong><br />
savoir si les fils ressem blent plus souvent à leur<br />
mère qu’à leur père. Ce n ’est pas au moyen d ’un<br />
nom bre <strong>de</strong> faits, si grand qu’il soit, accum ulés<br />
dans un sens ou dans l’autre, qu’on peut espérer<br />
<strong>de</strong> la résoudre. Pour procé<strong>de</strong>r scientifiquement,<br />
il faudrait prendre toute une catégorie <strong>de</strong> personnes,<br />
supposons tous les professeurs <strong>de</strong> lycées<br />
ou tous les mé<strong>de</strong>cins, et obtenir d eux <strong>de</strong>s renseignements<br />
précis sur les caractères hérités<br />
<strong>de</strong> leurs enfants. Voilà ce qui pourrait conduire<br />
à <strong>de</strong>s conclusions valables.<br />
L’homochronie se révèle dans presque toutes<br />
les maladies héréditaires,— elle est, peut-on dire,<br />
la règle dans 1 hérédité du suici<strong>de</strong>. « Il n ’y a<br />
guère <strong>de</strong> fait, ajoute l’auteur, qui m ontre sous<br />
une forme plus saisissante le caractère fatal <strong>de</strong><br />
la transm ission héréditaire... L’enfant est sain,<br />
adulte; qu’a-t-il à craindre? Mais le legs fatal<br />
était en lui bien avant qu’il s’en révélât chez les<br />
parents la moindre trace. Il était dans cet ovule<br />
fécondé d’où il est sorti. Depuis l’instant où le<br />
vitellus s’est segm enté...., un déterminism e<br />
inexorable où chaque état comman<strong>de</strong> celui qui<br />
suit, mène insensiblement à la date fatale. Est-il<br />
rien qui m ontre mieux combien l’hérédité pèse<br />
<strong>de</strong> tout sou poids, même quand nous n’en avons<br />
nulle conscience et nul souci ? »<br />
Nous ne dirons qu’un mot <strong>de</strong>s exceptions à la<br />
loi d’hérédité. Elles sont plutöt apparentes que<br />
réelles. Aux considérations judicieuses que fait<br />
valoir M. Ribot, nous voudrions en ajouter une<br />
qui se dégage <strong>de</strong> ses étu<strong>de</strong>s. On est tenté <strong>de</strong><br />
regar<strong>de</strong>r les parents comme <strong>de</strong>s espèces d’entités<br />
qui restent toujours semblables à elles-<br />
mêmes. Mais combien ils varient d’un moment à<br />
l’autre — et dès lors qu’y a-t-il d’étrange dans<br />
ce fait que souvent les frères et sœ urs ne se<br />
ressemblent pas ? Dans quelles conditions ont-<br />
ils été engendrés? Faut-il s’étonner qu’un idiot