1882 - Université Libre de Bruxelles
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L'ATHENÆUM BELGE<br />
BUREAUX :<br />
r u e d e l a m a d e l e i n e , 26 , a B r u x e l l e s .<br />
S o m m a i r e . — Leçons <strong>de</strong> mots, par Michel Bréal<br />
et A. Bailly (Alphonse Le Roy). — Le Rig-Veda,<br />
p ar A. Kaegi (Charles Michel). — Correspondance<br />
littéraire <strong>de</strong> Paris. — Bulletin : Cinquante<br />
ans <strong>de</strong> liberté. A nnuaire <strong>de</strong> l'Observatoire royal<br />
<strong>de</strong> <strong>Bruxelles</strong>. Bibliothèque belge illustrée. Encyclopédie<br />
<strong>de</strong> l’histoire mo<strong>de</strong>rne. — Chronique. —<br />
Sociétés savantes. — Bibliographie.<br />
O U V R A G E S N O U V E A U X .<br />
Leçons <strong>de</strong> m ots. Les m ots Latins, groupés<br />
d ’après Le sens et L’étym ologie, par Michel<br />
Bréal et Anatole Bailly. Cours interm édiaire.<br />
Paris, Hachette, 1881, in-12, XVI et 203 pp.<br />
Les Leçons <strong>de</strong> choses sont en gran<strong>de</strong> vogue;<br />
les Leçons <strong>de</strong> m ots le seront bientöt. « Ces <strong>de</strong>ux<br />
sortes <strong>de</strong> leçons, disent MM. Bréal et Bailly,<br />
sont la contre-partie l’une <strong>de</strong> l’autre : aller <strong>de</strong> la<br />
chose signifiée au signe, ou du signe à la chose<br />
signifiée, l’e sp rit humain emploie tour à tour les<br />
<strong>de</strong>ux procédés ; un enseignem ent qui veut se<br />
conformer à la nature d’esprit <strong>de</strong> l’enfant doit<br />
satisfaire tour à tour l’un et l’autre penchant et<br />
en tirer parti pour le progrès <strong>de</strong> son intelligence.<br />
»<br />
On ne saurait m ieux parler : « C’est par les<br />
mots (à condition, bien entendu, <strong>de</strong> les comprendre)<br />
que l’enfant, entre en possession <strong>de</strong><br />
l’héritage intellectuel <strong>de</strong> ses aïeux »; c’est par les<br />
mots qu’il arrive aux idées. Rien n’est instructif<br />
et intéressant comme une leçon <strong>de</strong> mots bien<br />
conduite; rien n ’est plus indispensable quand il<br />
s’agit <strong>de</strong>s langues m ortes. L’initiative <strong>de</strong><br />
MM. Bréal et Bailly, reprise d’ailleurs d’une ancienne<br />
tradition, est faite pour rendre vie et vigueur<br />
aux humanités.<br />
Par l’étu<strong>de</strong> com parée <strong>de</strong>s mots primitifs et <strong>de</strong><br />
leurs dérivés, on pénètre dans l a m anière <strong>de</strong> voir<br />
et <strong>de</strong> sentir <strong>de</strong>s peuples. Des exemples valent<br />
mieux ici que <strong>de</strong>s dém onstrations. Prenons le<br />
latin. « En voyant le m ot v irtu s placé à cöté <strong>de</strong><br />
vïr, nous comprenons que les Romains faisaient<br />
consister la vertu dans l’ensem ble <strong>de</strong>s qualités<br />
viriles. En trouvant l’un auprès <strong>de</strong> l’autre pecus<br />
et pecunia, nous <strong>de</strong>vinons que la prem ière sorte<br />
<strong>de</strong> richesse qu’ait connue Rome était la richesse<br />
en bétail. D’autres fois ce sont <strong>de</strong> curieux traits<br />
<strong>de</strong> moeurs dont le langage a gardé l’em preinte :<br />
la m étaphore callere « avoir <strong>de</strong>s callosités aux<br />
m ains»n’a pu être créée pour signifier «savoir»<br />
que par <strong>de</strong>s hommes habitués à tenir le manche<br />
<strong>de</strong> la charrue. E xp lorare est un verbe plein d’esprit<br />
qui nous fait voir une personne versant <strong>de</strong>s<br />
larmes vraies ou feintas pour son<strong>de</strong>r les dispositions<br />
<strong>de</strong> son interlocuteur R ivalis a d’abord<br />
été, comme nous dirions aujourd’hui, un term e<br />
<strong>de</strong> palais, s’appliquant à un riverain qui dispute<br />
à un voisin la jouissance d ’un même cours d’eau,<br />
et <strong>de</strong> là il est <strong>de</strong>venu le nom qui désigne toute<br />
espèce <strong>de</strong> compétition. »<br />
Journal universel <strong>de</strong> la L ittérature, <strong>de</strong>s Sciences et <strong>de</strong>s A rts .<br />
P A R A IS S A N T L E 1 er E T L E 1 5 D E C H A Q U E M O IS.<br />
5me ANNEE.<br />
3ST* 1 - 1 " J A N V I E R 1 8 S 3<br />
11 convient d’étudier les mots par fam illes et<br />
non isolément comme ils figurent dans les dictionnaires,<br />
où ils n’ont ni ancêtres ni <strong>de</strong>scendants.<br />
Alors seulem ent on saisira comment les langues,<br />
au moyen d ’un petit nom bre <strong>de</strong> term es, concrets<br />
à l’origine, parviennent à exprim er les idées les<br />
plus com plexes, les plus diverses, les plus<br />
abstraites.<br />
Ne nous lassons pas <strong>de</strong> citer : « Verto signifie<br />
« tourner » : il a donné everto « je retourne <strong>de</strong><br />
fond en comble, je détruis, » revertor « je re <br />
viens. » anim adverto « je tourne mon esprit<br />
sur une chose, je rem arque» Il a fait, en outre,<br />
les adjectifs diversus « différent », adversus<br />
« opposé », universus « réuni ». Du même mot,<br />
vient l’adverbe versus « dans la direction <strong>de</strong><br />
vers », avec ses composés a d v e n u s « contre »,<br />
rursus (pour re-versu s)« <strong>de</strong> nouveau », prorsus<br />
(pour pro-versus) « en avant ». De là encore le<br />
substantif divortium « la séparation, le divorce».<br />
Le substantif versus signifiait d’abord « un tour »,<br />
et c’est dans ce sens qu’il a donné versatus<br />
« retors, fourbe »; plus tard versus a désigné<br />
une ligne, un vers. Nous avons ensuite le fréquentatif<br />
verso « retourner », avec le déponent<br />
versor « je suis engagé dans, je suis occupé<br />
<strong>de</strong> ». Ce n’est pas tout : un certain nom bre <strong>de</strong><br />
composés ont opéré <strong>de</strong>s contractions, comme<br />
prosa, pour proversa (sous-entendu oratio), le<br />
discours suivi, par opposition au discours<br />
rhythm é, pessum dans pessuni do (pour perversum<br />
do) « je renverse ». E"fin le substantif<br />
vertex ou vortex marque « le tourbillon », et <strong>de</strong><br />
là il a passé au sens <strong>de</strong> « sommet.».<br />
Veut-on rendre attrayante l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s langues<br />
anciennes? Qu’on fournisse le plus possible et le<br />
plus töt possible aux jeunes gens la copia verborum<br />
, l’abondance <strong>de</strong>s mois. Le moyen <strong>de</strong> ne<br />
pas se rebuter, quand pour déchiffrer un auteur<br />
on est forcé d’avoir recours à toute m inute, au<br />
dictionnaire? Mais que les mots ne m ’em barrassent<br />
pas : pour peu que je possè<strong>de</strong> convenablem<br />
ent ma gram maire, j ’arriverai bientöt à<br />
lire couram m ent, et dès lors une curiosité salutaire<br />
s’éveillera en moi : les beaux génies <strong>de</strong><br />
l’antiquité <strong>de</strong>viendront mes familiers, mes inséparables;<br />
insensiblem ent ils ouvriront mon esprit,<br />
fortifieront mon caractère et rendront mon goût<br />
délicat : j’aurai véritablem ent fait mes hum anités.<br />
Les solitaires <strong>de</strong> Port-Royal com posèrent le<br />
Jardin <strong>de</strong>s racines grecques sous l’em pire <strong>de</strong><br />
ces idées. Mais ils ne s’adressèrent qu’à la mémoire<br />
<strong>de</strong>s enfants, et pour lui venir en ai<strong>de</strong>, ils<br />
ne connurent d’autres artifices que l’ordre alphabétique<br />
et la rim e. Le dictionnaire <strong>de</strong>s racines<br />
latines <strong>de</strong> Pierre Danet (ad usum U elphini, 1677)<br />
est plus sérieusem ent méthodique et a rendu <strong>de</strong><br />
vrais services; on est en droit <strong>de</strong> s’étonner <strong>de</strong><br />
l’oubli où il est tombé Heureusement une réaction<br />
s’o père; <strong>de</strong>puis que la linguistique est<br />
<strong>de</strong>venue une science dans toute la force du<br />
term e, l’étu<strong>de</strong> rationnelle <strong>de</strong> la formation et <strong>de</strong><br />
PRIX D ’ABONNEM ENT :<br />
Belgique, 8 fr. par an ; étranger (union postale), 10 fr,<br />
la dérivation <strong>de</strong>s mots tend à s’introduire dans<br />
les écoles ; le tout est <strong>de</strong> disposer les professeurs<br />
à s’y attacher suffisamment, et pour cela<br />
<strong>de</strong> rédiger <strong>de</strong>s manuels assez simples pour<br />
n’effrayer ni eux ni leurs élèves.<br />
La <strong>de</strong>rnière édition du J a rd in , publiée en<br />
1840 par M. Ad Régnier, est accompagnée d’un<br />
traité <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong>s mots grecs « prem ier<br />
essai écrit dans notre langue, dit M. E gger, sur<br />
un sujet trop négligé par nos gram m airiens. »<br />
C’est une œ uvre distinguée, mais qui a eu le tort<br />
<strong>de</strong> paraître en solidarité avec les Déca<strong>de</strong>s et<br />
s’est ainsi trouvée enveloppée dans leur proscription<br />
(1863) Celte sentence laissait un vi<strong>de</strong><br />
à com bler,: dès 1869, M. Anatole Bailly, professeur<br />
au lycée d’Orléans, a été en mesure <strong>de</strong><br />
présenter au public scolaire son excellent<br />
Manuel pour L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s la tin e s grecques et<br />
latines, précédé <strong>de</strong> notions élém entaires <strong>de</strong><br />
phonétique. Livre précieux, résum ant les travaux<br />
<strong>de</strong>s Curtius, <strong>de</strong>s Meyrr et <strong>de</strong>s Schleicher,<br />
au courant enfin <strong>de</strong> la science, mais, il faut le<br />
dire, dépassant la portée <strong>de</strong>s lycéens et par là<br />
, mêm e peu pratique. Il n’en a pas été moins<br />
apprécié <strong>de</strong>s personnes instruites et il serait à<br />
souhaiter que l’auteur en donnât une nouvelle<br />
édition, la prem ière étant épuisée. En attendant,<br />
M. Anatole Bailly a eu la bonne fortune <strong>de</strong> s’e n <br />
tendre avec M. Michel Bréal, l’éminent professeur<br />
du Collège <strong>de</strong> France et, on peut le dire,<br />
le régénérateur <strong>de</strong> l’instruction secondaire chez<br />
nos voisins du Midi. Linguiste et gram m airien<br />
<strong>de</strong> prem ier ordre, M. Bréal sait, quand il le<br />
veut, <strong>de</strong>scendre sans efforts au niveau <strong>de</strong> l’enseignem<br />
ent le plus élém entaire : nous n’en voulons<br />
pour preuve que le merveilleux sens pédagogique<br />
qui se révèle à chaque page <strong>de</strong> ses<br />
Quelques m ots su r L'instruction publique en<br />
France (1872). Assuré d’une telle collaboration,<br />
M. Railly pouvait être sûr d’éviter désormais,<br />
autant qu’il est humainement possible, les<br />
écueils auxquels ses prédécesseurs et lui-même<br />
s’étaient heurtés. C’est ce qui est arrivé : les<br />
Leçons <strong>de</strong> m ots, méthodiquem ent et sobrem<br />
ent conçues,dépouillées <strong>de</strong> to u t appareil scientifique<br />
et pourtant scientifiquement coor tonnées,<br />
réalisent l’idéal du genre. On n’est pas plus<br />
simple, plus clair et plus soli<strong>de</strong> en même<br />
temps.<br />
Les Leçons <strong>de</strong> m ots com prendront trois cours :<br />
dans le prem ier, <strong>de</strong>stiné aux com m ençants, les<br />
mots latins sont groupés d ’après l’affin ité du<br />
sens; dans le <strong>de</strong>uxièm e, que nous avons sous<br />
les yeux, leur étymologie et leur filiation déterminent<br />
la place qu’ils occupent ; les procédés<br />
<strong>de</strong> dérivation et <strong>de</strong> composition sont exposés à<br />
la fin du volume. Le cours supérieur s’adressera<br />
aux professeurs plutö t q u ’aux élèves.<br />
MM. Bréal et Bailly n ’enten<strong>de</strong>nt pas que leur<br />
livre soit régulièrem ent et d’un bout à l’autre<br />
appris par cœ ur, comme on faisait jadis pour les<br />
racines grecques. Ce n’est pas qu’ils excluent la